Au fil du temps

Dominique Païni expose le cinéma au risque du musée

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 31 mai 2002 - 641 mots

Ancien directeur de la Cinémathèque française, Dominique Païni aborde dans un recueil d’articles récents les dimensions patrimoniales et historiques du cinéma et la nouvelle cinéphilie « plastique » de ces dernières années. Enfin, s’il reste peu enclin à encourager la vague cinéphile de la création contemporaine, il n’en commente pas moins les tentatives visant à accrocher le cinéma sur les cimaises du musée.

“Une idée donc. Celle-ci par exemple, pourtant rabâchée mais jamais suffisamment remise sur le métier : le cinéma est cet art dont les récits et les images se constituent dans des temporalités conjuguées : celle objective de la durée du film, celle imaginaire de la fiction, celle illusoire, que le spectateur intériorise.” La formule de Dominique Païni a le mérite de la clarté. À l’époque du direct, le cinéma est avant tout une affaire de temps, et l’auteur, ancien directeur de la Cinémathèque française, actuel directeur du développement culturel au Centre Georges-Pompidou, tient à en embrasser toutes les épaisseurs, passées, présentes et futures. Synonyme de reconnaissance, la perception patrimoniale du cinéma occupe une large place dans les articles du Temps exposé. Comment conserver et jusqu’où restaurer les films ? Les questions de déontologie dans ce domaine ne sont pas loin de celles qui ont trait aux autres arts. Défenseur d’une culture du fragment, habité par une certaine poétique de la ruine, Dominique Païni rappelle aussi dans ces pages le caractère reproductible du cinéma. Cette capacité première nourrit aussi la question d’un Musée du cinéma, institution issue de la Cinémathèque. Véritable arlésienne (dont le dernier fait marquant est le renvoi sec après quelques mois de son nouveau directeur, Laurent Gervereau), le projet avait attiré toute l’attention de Dominique Païni lors de son mandat à Chaillot de 1991 à 2000. Toutefois, pour lui, pareil musée est avant tout imaginaire. “Mais qui relie Malraux et Godard ? Godard le reconnaît : Langlois”, note-t-il avec jubilation. Car, si l’un des lieux mentaux de ce musée est la cinémathèque pensée par Henri Langlois, les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard en constituent un autre, rendu possible cette fois par la vidéo.

Ce support – et plus avant le numérique – est pour Dominique Païni le ferment de la “nouvelle cinéphilie” et des gestes qui lui sont attachés : visionnage, compilation, arrêt sur image, déhiérarchisation des genres, accélération, consultation par chapitres… Alors qu’un des faits marquants de l’industrie cinématographique est l’explosion des ventes de DVD, le point fort de ce recueil d’articles récents est justement la description des nouvelles expériences offertes par ce support. En quelques années, le spectateur est passé de “l’hypnose à l’accessibilité”. Et les répercussions d’un tel changement sur le goût et les formes sont loin d’être nulles : “finalement, l’expérimentation que le magnétoscope a permis de pratiquer sur tous les films, a ouvert ces derniers à leurs substrats chorégraphiques. [...] C’était une interprétation plastique, et parfois musicale, qui était mise en avant”. D’où l’intérêt pour la violence chorégraphiée du cinéma asiatique, John Woo en tête, ou pour le “beat du cinéma expérimental”. Quant à la plasticité du film, qualité abstraite de l’image, aussi impalpable qu’évidente, elle a trouvé avec le ralenti un terrain propice. Le modelage du temps décélère, mais il monumentalise également. On pourra certes trouver à redire sur le mépris affiché par l’auteur pour les artistes contemporains ayant recours à cette manipulation (“qui se sont parés d’une image de marque cinéphilique”), mais il faut souligner sa justesse quant à “l’artisticité” du cinéma et aux tentatives muséales visant à sortir le cinéma de la classique salle de projection. Emportées, un brin lyriques et passionnées, l’écriture et les thèses de Païni souffrent peut-être d’une partialité par trop cinéphile, elles n’en expriment pas moins une intuition critique clairvoyante.

- Dominique Païni, Le Temps exposé, le cinéma de la salle au musée, éditions Cahiers du Cinéma, 143 p., 15 euros. ISBN 2-86642-232-2.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°150 du 31 mai 2002, avec le titre suivant : Au fil du temps

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