Atget/Quesney : protocole de reprise de vues

Le Journal des Arts

Le 25 janvier 2002 - 507 mots

Qu’un photographe reprenne les règles
d’un prédécesseur, célèbre
ou non, marche dans ses pas
et place l’œil photographique exactement au même endroit, presque cent ans plus tard :
la “reconduction photographique”? appliquée ici à Atget dénoue les imbrications de la documentation photographique, de la pratique professionnelle, de l’évolution du paysage et de la question
du style.

Ce livre est bâti selon une méthode implacable : à gauche, une des photographies faites par Atget, le photographe de la modernité et de Paris, entre 1900 et 1927, dans les parcs de Versailles, Saint-Cloud et Sceaux ; à droite, la “même” photo, ou le même “point de vue” comme l’on dit depuis Nicéphore Niépce, par Daniel Quesney, en 1995 et 1996. Ce n’est pas une tocade, mais une méthode, un “protocole de reprise de vues” mis au point dans le cadre de l’Observatoire photographique du paysage (ministère de l’Environnement) qui permet, s’il est appliqué systématiquement d’année en année, de comprendre l’évolution d’un site, urbain ou rural. L’appliquer à des parcs et à Atget, c’est une gageure en même temps qu’une célébration : celle du grand ancêtre, maître de la chambre 18 x 24 cm et de la construction sensible de l’image et de la perspective. Mais c’est aussi remettre en question la photographie : qu’est-ce qu’une bonne photographie, pourquoi photographie-t-on (pourquoi Atget faisait-il telle vue et non telle autre, obligeant le contemporain à se glisser dans des intentions qu’il n’a pas eues). C’est mettre en équation (ceci est-il égal, ou identique, à cela) le passage du temps et les interventions des hommes.
Le résultat aurait été assurément plus spectaculaire à Paris ou en banlieue (c’est le travail quotidien de Daniel Quesney), mais le choix des parcs implique la subtilité des changements, la perception du détail plus que de l’ensemble de la vue (on se rend compte alors que l’on regarde toujours trop vite une photographie) ; l’interrogation se déporte alors sur le “photographique”, sur la pratique qu’implique l’exactitude de la posture de reconduction et fait naître le trouble d’une identité nonpareille. On note peu à peu de grandes différences d’un parc à l’autre : les effets de la restauration à Sceaux, les renouvellements d’arbres à Versailles, les changements d’ornements à Saint-Cloud.
L’exercice amène aussi à s’interroger sur la démarche d’Atget, sur la nature de la photographie au début et à la fin du siècle (celui qui est dit maintenant siècle dernier), puisque la compréhension n’est peut-être possible qu’en reprise de méthode. La fin de l’ouvrage se livre à ce “plaisir de l’inventaire” de ce qui peut “poindre” dans la comparaison.
Démonstration d’un engagement, qui est celui de Daniel Quesney, à la tête d’une agence de photographie, Paysage(s), regroupant une trentaine de photographes, au service d’une idée environnementale de la photographie. Voilà qui nous éloigne salutairement du ronronnement de la photo pour la photo, qui fait si souvent la démonstration de la futilité et de la prétention. Atget était déjà de cet avis !

- Eugène Atget/Miroirs/Daniel Quesney : reconstitution photographique, Bruxelles, ARP Éditions, 2001, 203 p., 52 E, ISBN 2-930115-06-8.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : Atget/Quesney : protocole de reprise de vues

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