Architecture coloniale

Par Adrien Goetz · L'ŒIL

Le 1 novembre 1999 - 451 mots

Posséder, à New Delhi vers 1930, un salon dont la cheminée fume : le comble de l’élégance pour les hauts fonctionnaires britanniques qui commandaient leurs bungalows à l’architecte Edwin Lutyens.
Le style colonial, surimposé aux styles nationaux par un Occident hégémonique n’a pas toujours eu bonne presse. Trois ouvrages, très différents, permettent de mieux cerner son originalité.

Celui de Jérôme Coignard invite à un tour du monde et à un voyage, pièce par pièce, dans la demeure. Avec justesse, l’auteur fait appel à des sources littéraires : de Lord Jim de Conrad aux nouvelles de Karen Blixen, il peuple de fantômes cette architecture devenue mythique. L’Amant ou India Song de Duras ont remplacé, dans nos bibliothèques, Madame Chrysantème de Loti et Les Civilisés de Claude Farrère (Goncourt, 1905). De l’île de Gaspa Granda, face aux côtes vénézueliennes, du Sénégal au Mexique, de Trinidad à Saïgon, le « Colonial » est devenu un style que la métropole put même adopter : en témoignent les recréations dues à Enzo Mongiardino (L’Œil n°505) ou le Musée des Colonies de la Porte dorée, dédié à « la plus grande France ». Cet embarras devant l’histoire, finement analysé par Jérôme Coignard, les deux autres ouvrages peuvent aussi aider à l’expliquer. Celui d’Ovidio Guaita, architecte et photographe, passe au crible soixante régions du globe, établissant une typologie par l’image des styles coloniaux anglais, espagnol, portugais, français, hollandais, ou, plus inattendus, chinois, ou omanais (à Zanzibar). Un regret : trop de façades dans ce recueil, pas assez d’intérieurs, de plans, de véritable histoire de la demeure et de la manière de l’habiter. Arnauld Le Brusq, dans son monumental ouvrage sur le Vietnam n’est pas tombé dans ce travers : il a constitué une somme très précise sur l’architecture indochinoise, à Saïgon, Hué ou Hanoi. Le livre, passionnant de bout en bout, est un vrai livre d’histoire, intelligent et suggestif. Grâce à l’architecture, il pose des questions essentielles sur les mentalités et la vie quotidienne dans l’Empire français. De la conception générale de l’urbanisme jusqu’aux implications du choix des noms de rues, l’auteur décrypte le labyrinthe du Vietnam colonial. La problématique de l’appropriation par les Vietnamiens de la modernité, de la coexistence d’expériences architecturales souvent plus audacieuses qu’en métropole avec un art de bâtir né du temps long de l’histoire de cette région, constituent vraiment un éclairage neuf sur l’histoire du colonialisme.

- Ovidio Guaita, La Villa coloniale, éd. Hazan, ISBN 2-85025-710-9, 320 F. - Leonardo Arte, Jérôme Coignard, Style colonial, photographies de Roland Beaufre, éd. du Chêne, Hachette Livre, ISBN 2-84277-163 X, 245 F. - Arnauld Le Brusq, Vietnam à travers l’architecture coloniale, photographies de Léonard de Selva, Patrimoines et Médias, éd. de l’Amateur, ISBN 2-85917-242-2, 390 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°511 du 1 novembre 1999, avec le titre suivant : Architecture coloniale

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