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1984 : commémoration d’une date annoncée

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 17 décembre 2019 - 355 mots

Depuis la publication du Séminaire de sémantique générale d’Alfred Korzybski, en 1937, nous savons que tout est communication et que nous vivons dans les mots, dans l’illusion de la langue et de ce qu’elle décrit : nous voyons ce que nous croyons.

Au même moment, Joseph Goebbels développait son système théorisé de manipulation des masses par les médias et la modification du langage. Il posait ainsi les bases d’un modèle de propagande visant le consentement personnel à la soumission. L’absolutisme s’accompagne dès lors d’un brouillage de la langue qui déconstruit le réel, qui appauvrit l’esprit, et en cas de résistance y sème le conflit intérieur, le paradoxe, la schizophrénie. Cette déformation du réel par le langage est l’épicentre du roman 1984 de George Orwell, qui en tire à sa publication en 1949 les conclusions de son avènement psychologique et ses effets sociétaux. Il ne laisse aucun doute : ne reste qu’à poser une date qu’il fixe comme titre prophétique, pour ne pas dire qu’il est déjà. Pour ne pas dire qu’il est au centre de tout ce que nous sommes. C’est en particulier aux effets sociétaux que le peintre Antonio Saura s’intéresse en 1983, alors qu’il illustre le roman en vue de commémorer l’année annoncée. Sur la thématique de l’absurde et de l’enfermement psychologique, il illustrera également Cervantes et encore Kafka. Pour 1984, il en fait ressortir le thème de la répression et de la dictature. Vision des années 1980, elles y sont traitées en traits sombres et torturés. Les contrastes sont élevés, traces de brouillons d’une logique appauvrie comme unique horizon, confusion des traits comme du sens et de la pensée qui se noie dans l’encre, qui déstructure les êtres et les décors. En une autre date, avec une coloration bien différente et souvent d’autres aboutissants, l’évolution du contrôle de masse s’accommode aujourd’hui parfaitement de notre propre volonté de produire du sens sur notre réalité. Son illustration actuelle prendrait alors certainement les traits soignés et la teinte rayonnante de notre propre ego, tel que nous voudrions le voir raconter nos vies, pour une soumission absolument volontaire et sans plus aucune limite que la nôtre.

George Orwell, Antonio Saura (illustrations),
 
1984,
éditions Georg, archives Antonio Saura, 288 p., 30 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : 1984 : commémoration d’une date annoncée

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