Vente Jammes, deuxième

Dispersion de la prestigieuse collection de photographies

Le Journal des Arts

Le 8 mars 2002 - 928 mots

Plus de deux ans après la première et mythique vente, à Londres, de la collection de Marie-Thérèse et André Jammes, Sotheby’s dispersera les 21 et 22 mars à Paris la suite de ce remarquable ensemble. Si l’événement est impatiemment attendu des professionnels, il est également redouté eu égards aux importantes adjudications qui, il y a deux ans, avaient complètement déstabilisé le marché de la photographie.

PARIS - Souvent qualifiée de “vente du siècle”, la première partie de la collection Jammes avait triplé son estimation, totalisant plus de 11,42 millions de francs. Le record mondial pour une photographie avait été établi par une marine de Gustave Le Gray, La Grande Vague, Sète, adjugée la somme de 762 000 euros, ce qui semblait inimaginable jusqu’alors. Déjà organisée par la maison Sotheby’s, la première vacation avait eu lieu à Londres et avait attiré la plupart des grands collectionneurs internationaux, et particulièrement les Américains. Quelques mois après l’ouverture du marché de l’art français, la deuxième session est aujourd’hui organisée à la galerie Charpentier, à Paris, selon le souhait des collectionneurs. La vacation sera divisée en deux parties, la première consacrée à un ensemble d’images et de documents du XIXe et du XXe siècle, tandis que la seconde journée verra disperser l’intégralité du fonds Charles Nègre (1820-1880).
La pièce la plus attendue de la vente est une image de Nicéphore Niépce, modeste reproduction d’une gravure du XVIIe siècle. Réalisée en 1825, cette épreuve antérieure à tous les essais connus est vraisemblablement le premier document de nature photographique au monde. Véritablement fondatrice, cette image est accompagnée d’une partie de la correspondance inédite de Niépce (estimée 500-750 000 euros). La valeur patrimoniale et documentaire de cet ensemble lui confère un poids historique. Selon Philippe Garner, expert de la vente, “ce lot dépasse le milieu traditionnel de la photographie et touche l’évolution de notre milieu culturel, puisqu’il s’agit de la création de la diffusion de l’image captée dans la nature. Ce document représente la première étape vers notre civilisation de l’image”. Il est difficile d’imaginer que l’État français puisse rester impassible devant une pièce aussi importante.
Le programme de la première partie de la vente sera essentiellement consacré aux œuvres des grands “primitifs” de la photographie française. Plusieurs épreuves et quelques négatifs d’Édouard Baldus seront proposés, études d’architecture et de paysages. Quelques pièces exceptionnelles seront vendues tel un grand négatif sur papier ciré, Le Louvre, grand pavillon de l’Horloge, 1854, estimé 30-45 000 euros. Une rare série d’images de la Manufacture de Sèvres de Victor Regnault, estimées de 3 000 à 75 000 euros, devraient, selon Philippe Garner, susciter l’intérêt des collectionneurs. Une suite de paysages de la forêt de Fontainebleau, une étude de la cathédrale Notre-Dame du Puy, réalisée pendant la mission héliographique, ainsi qu’une remarquable Marine (75-100 000 euros) de Gustave Le Gray sont également très attendues. L’Album de l’ancien Paris, contenant 67 images réalisées entre 1865 et 1869 par Charles Marville, est un touchant témoignage du Paris pré-haussmanien, commandé par l’administration du préfet lui-même. Il s’agit vraisemblablement de l’unique album composé de premiers tirages à avoir survécu à la Commune. Il est estimé 450-600 000 euros. Enfin, parmi les pièces les plus prestigieuses, on notera des épreuves des frères Bisson, Hippolyte Fizeau, Désiré Charnay, Nadar ainsi que d’Edgar Degas. La fin de la vente sera consacrée à des œuvres de sensibilités plus modernes, comme un ensemble de huit photographies de Germaine Krull prises d’une voiture sur la route (9-12 000 euros). Une importante série de portraits des principales figures des années 1930 à 1950 – parmi lesquelles on reconnaît Colette, Gide, Fargue, Montherlant ou encore Cocteau –, réalisée par Laure Albin-Guillot, sera proposée, les épreuves étant estimées de 1 500 à 9 000 euros. Enfin, un ensemble de 77 photographies de Robert Doisneau, Les Bistrots de Paris et autres scènes de la vie parisienne, estimé 75-90 000 euros, achèvera cette première journée.
Lors de la seconde partie de la vente sera dispersé le fonds d’atelier de Charles Nègre (1820-1880) que Marie-Thérèse et André Jammes avaient acquis d’un descendant du photographe à la fin des années 1950. Le couple de collectionneurs a su faire redécouvrir l’œuvre de l’artiste au moyen de publications et d’expositions internationales. Le travail de Nègre, aujourd’hui considéré comme l’un des maîtres de la photographie primitive, est d’une grande variété de sujets et de supports, puisqu’il utilisa d’abord des négatifs sur papier avant de découvrir les négatifs verre au collodion, plus clairs et de meilleure définition. Ces variations techniques lui permettaient d’explorer les effets de contrastes ombrageux et “romantiques”, comme de saisir des motifs dans leurs précisions et leurs détails. L’œuvre de Nègre se compose de grandes séries thématiques. Parmi les plus importantes, citons les sujets parisiens qui s’intéressent aux personnages pittoresques, aux berges de la Seine comme aux grands monuments. La pièce la plus célèbre de la vente appartient à cet ensemble : Le Stryge est un portrait d’Henri Le Secq devant une gargouille sur les hauteurs de Notre-Dame. L’épreuve est accompagnée de son négatif, formant un lot estimé 170-270 000 euros. De nombreux portraits seront également proposés, ainsi qu’une conséquente série de vues du midi de la France, comportant des paysages et des monuments, une importante série d’études de la cathédrale de Chartres, ou encore une série d’images réalisées à l’asile impérial de Vincennes. La grande particularité du fonds Charles Nègre réside dans le fait qu’il comprend de nombreux négatifs, souvent accompagnés d’épreuves positives. De telles associations, d’une qualité aussi remarquable, sont suffisamment rares sur le marché pour pouvoir dire avec certitude qu’elles fascineront les collectionneurs les plus éminents.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°144 du 8 mars 2002, avec le titre suivant : Vente Jammes, deuxième

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