Escroquerie

Une passion dangereuse

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 29 avril 2005 - 742 mots

L’une des plus importantes collectionneuses de la Biennale détournait l’argent de la banque BNP Paribas.

PARIS - L’histoire est pour le moins rocambolesque. Françoise Hardier, l’une des plus grosses clientes en mobilier XVIIIe de la Biennale des antiquaires de Paris 2004, était en fait une employée de banque. Elle détournait l’argent de la BNP Paribas pour assouvir son désir de collectionner meubles et objets d’art des XVIIe et XVIIIe siècles. Actuellement placée sous contrôle judiciaire, elle a été mise en examen pour escroquerie. Sa forfaiture s’élève à un total d’environ 15 millions d’euros, convertis en plus de cent objets achetés auprès d’une vingtaine de marchands de la capitale. Responsable du règlement des dépenses aux fournisseurs de la BNP Paribas, elle était chargée d’effectuer des virements de trésorerie vers les comptes des sociétés prestataires de service. Amoureuse des beaux objets, elle a un jour cédé à la tentation de transférer des sommes vers d’autres comptes, en l’occurrence ceux d’antiquaires parisiens chez qui elle faisait son shopping. Elle a été démasquée par ses collègues de la direction centrale de la banque en début d’année 2005, à l’occasion du rapprochement annuel des comptes pour 2004 à l’issue duquel il a été constaté un trou d’environ 8 millions d’euros. La banque a aussitôt porté plainte. Mais les premières malversations remontent à la fin 2001 et se sont poursuivies sur trois ans sans que la banque n’ait jamais réagi !
Françoise Hardier a démarré par de petits achats de meubles et objets d’art à quelques milliers ou dizaines de milliers d’euros pièce chez des antiquaires parisiens, à chaque fois payés par virements. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces transferts frauduleux sont passés inaperçus pour la BNP Paribas. Encouragée par un sentiment d’impunité, la nouvelle collectionneuse est devenue de plus en plus audacieuse. Petit à petit, les sommes dépensées se sont faites plus conséquentes. Déjà acheteuse à la Biennale des antiquaires en 2002, elle a été invitée pour l’édition 2004 au prestigieux dîner et a été placée à la table des Kraemer à côté d’un conservateur du Louvre.

Posée et calme
Lorsque les enquêteurs de la section financière de la Brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) débarquent en début d’année chez les marchands pour faire l’inventaire des acquisitions de cette dame, récupérer les factures, les avis de virements, les photos des objets et, le cas échéant, saisir les derniers achats non livrés, c’est la stupéfaction. « Elle avait l’air parfaitement normale, disait avoir hérité de son père, collectionneur de bronzes XVIIIe. Elle laissait entendre qu’elle avait fait des placements financiers et qu’elle possédait une propriété familiale à Rouen », témoignent d’une même voix les antiquaires. Pourtant, fin mars, trois d’entre eux, Jean Gismondi, François Léage et Jacques Perrin ont fait l’objet d’une garde à vue musclée. Tous trois sont suspectés d’avoir entretenu cette passion illicite : les achats de Françoise Hardier pèsent lourd dans la balance de leur chiffre d’affaires 2004 (de 30 % à 90 % de leurs résultats). Leur comptabilité est épluchée, leurs marges vérifiées. Tous plaident la bonne foi. « On ne l’a jamais poussée à l’achat. Elle n’achetait pas de façon frénétique. Elle était posée et calme. Elle prenait son temps pour acheter, prenait des photos… » Cette blonde plutôt distinguée, portant des vêtements Chanel et Yohji Yamamoto, fréquentait les bons restaurants de la capitale. « Elle ne s’intéressait pas aux bijoux car elle disait préférer les objets », remarque un marchand. Rien dans son train de vie ne semblait trahir sa vraie condition, si ce n’est son appartement modeste de Montreuil-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, où elle se faisait livrer. En trois ans, elle y a accumulé une douzaine de meubles, une cheminée et une quantité importante d’objets tels que des appliques, cartels, girandoles, candélabres, porcelaines montées, coffrets, miroirs et bronzes, aujourd’hui sous séquestre. « Elle disait que c’était provisoire et qu’elle cherchait un appartement pour un futur déménagement, se défendent les intéressés. Les virements de la BNP crédibilisaient toute l’histoire. Nous n’avons pas commis d’erreur. C’est la banque qui a vraiment manqué de vigilance ! » Quand elle a compris qu’elle était découverte, Françoise Hardier s’est fait interner en établissement psychiatrique le temps de peaufiner sa défense: celle de se faire passer pour une acheteuse compulsive qui a profité de la faiblesse du système de sécurité comptable d’une banque pour financer son goût irrépressible pour l’art. L’enquête devra déterminer les responsabilités de la banque, propriétaire malgré elle d’une importante collection d’objets d’art.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°214 du 29 avril 2005, avec le titre suivant : Une passion dangereuse

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