Ventes aux enchères

Un vent de folie sur la vente André Breton

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 juin 2003 - 669 mots

L’événement de l’année qui promettait de jolies joutes entre détracteurs et partisans de la vente ne se transforma pas en foire d’empoigne comme d’aucuns l’avaient redouté. 

Malgré quelques actions symboliques, comme la pluie de faux billets à l’effigie de Breton, le marathon de la vente André Breton s’est déroulé sans accroc du 7 au 17 avril. Pendant l’exposition, le regard des quelque 50 000 visiteurs s’attardait sur certaines merveilles tout en butant sur le chapelet d’œuvres médiocres ou insolites. Les salles consacrées aux tableaux révélaient de nombreuses vétilles alors que la photographie et l’art primitif brillaient par leur qualité.

Face à cette pléthore, on aurait pu croire que les acheteurs, prétendument sélectifs, résisteraient devant les fredaines. Peine perdue ! Avec un total de 46 millions d’euros sur une estimation de 30 millions, ces ventes ont confirmé ce qu’on soupçonnait vaguement : la flambée des prix pour la plus-value de Breton. La première semaine consacrée aux livres et manuscrits fut dominée par le libraire Jean-Claude Vrain, l’adjudicataire un brin matamore de nombreux lots, et par la bibliothèque littéraire Doucet. Comme il l’avait promis, l’État multiplia les préemptions, notamment le jeu d’épreuves de Nadja (140 000 euros) et le dossier sur les sommeils hypnotiques (150 000 euros). Arcane 17, le manuscrit phare de la vente dédié à la dernière compagne de l’écrivain, Élisa, grimpa vite de sa mise à prix de 70 000 euros jusqu’à l’adjudication de 750 000 euros au profit de Jean-Claude Vrain. Jusqu’à que s’élève la préemption attendue en faveur de la bibliothèque Doucet. Le libraire maintes fois débouté fut toutefois l’heureux bénéficiaire pour la somme de 243 000 euros de Qu’est-ce que le surréalisme ?, l’exemplaire de Breton de 1934 illustré par le Viol de Magritte.

Le cahier de compte de la première semaine révélait un total de 8,3 millions d’euros, soit plus de 30 à 40 % des estimations. Si les libraires ont tendance à acheter de manière réfléchie, on reste pantois devant la frénésie des amateurs d’art moderne, poussant le total des vacations consacrées à la peinture à plus de 26 millions d’euros. De manière prévisible, les œuvres phares ont atteint des sommes impressionnantes notamment Femme, un relief de Jean Arp préempté par le Centre Pompidou pour 2,5 millions d’euros. Étonnamment, l’Étude pour le tableau de Camberra d’Arshile Gorky et le Piège de Miro furent adjugés en dessous de leur estimation basse, respectivement pour 800 000 et 2,5 millions d’euros. Des signatures ne présentant d’intérêt que par leur présence dans le bric-à-brac poétique de l’écrivain ont vu leurs estimations pulvérisées. À noter, une adjudication des plus déroutantes, les Petits pois sont verts, les petits poissons rouges d’Yves Laloy, préempté par le musée des Beaux-Arts de Rennes pour 80 000 euros sur une estimation de 1 200/1 500 euros ! La vente de photographie a réservé de solides enchères pour Hans Bellmer avec une Poupée de 1936 préemptée pour 80 000 euros par la Ville de Paris. Les tirages de Raoul Ubac ont doublé leurs estimations, le Triomphe de la Stérilité de 1937 s’envolant pour 95 000 euros. D’autres épreuves ont réveillé des surprises comme ceux de Jindrich Styrsky et Léon Dohnen ou encore les Photomatons de la bande surréaliste. La grande cuiller et le gant de femme de Nadja, fétiches de la section des arts populaires, furent naturellement préemptés, respectivement pour le Centre Pompidou et la bibliothèque Doucet.

Le zèle de l’État, manifesté par trois cent trente-cinq préemptions pour un total de 11,5 millions d’euros, fut récompensé par la fille de Breton, Aube Ellouet, qui choisit de faire don de quinze des œuvres préemptées. Ce don, qui comprend aussi bien Femme de Arp, Dancer Danger de Man Ray qu’Arcane 17 permettra d’alléger pour moitié les dépenses publiques. À cette libéralité s’ajoute Uli, la sculpture fétiche qu’Aube avait acquise pendant la vente pour 1,1 million d’euros en vue de la donner à la bibliothèque Doucet, déjà détentrice du bureau sur lequel siégeait la créature. Cette ultime largesse sera l’unique note touchante et élégante de ce marathon.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°548 du 1 juin 2003, avec le titre suivant : Un vent de folie sur la vente André Breton

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