Arts décoratifs anciens/Paris

Un marché à deux vitesses

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2013 - 765 mots

Les 7 et 8 novembre, Christie’s et Sotheby’s organisaient leurs ventes d’arts décoratifs du XVIIe au XIXe siècle. Si le bilan est plutôt encourageant, l’arbre cache la forêt.

PARIS - Les deux maisons anglo-saxonnes ont obtenu à elles deux un produit de 16,1 millions d’euros (1), soit dans la fourchette de l’estimation basse, entre 13,5 et 20,2 millions d’euros. Près de la moitié de cette somme a été atteinte par l’addition de 3 lots exceptionnels. Pour Laurent Hache, expert (Cabinet Authenticité), « ces résultats sont représentatifs de l’état actuel du marché de l’ancien. Des résultats en millions d’euros, enregistrés par des objets rarissimes et dont les prix sont justifiés, masquent en réalité une majorité de résultats en demi-teinte ». En effet, des œuvres rares ou de belle qualité se vendent autour de leur estimation basse, souvent très raisonnable, ou pire, ne se vendent pas du tout, comme c’est le cas pour la veilleuse à la turque en bois d’époque Louis XVI estampillée « G.IACOB », « qui n’a pas trouvé preneur à 150 000 euros, ce qui était, pour sa rareté, une estimation basse plus que correcte », déplore Laurent Hache.

Christie’s remporte donc la partie avec un total de 10,7 millions d’euros, proche de son estimation haute fixée à 10,5. Son catalogue, bien fourni, comportait au moins trois joyaux. Deux pleurants en albâtre sculpté, provenant du tombeau de Jean Ier de Berry (1340-1416), resté dans une collection française depuis plus de deux siècles, se sont littéralement envolés à 4 millions d’euros. Alors qu’ils étaient estimés raisonnablement 500 000 à 800 000 euros, l’État français a tenté de les acheter sans passer par le jeu des enchères mais sans succès, faute de fonds. Réalisés vers 1450 par Étienne Bobillet et Paul Mosselmann, les 40 pleurants qui se déployaient sous le gisant ont été dispersés à la Révolution. Seuls 27 ont réapparu ; deux d’entre eux appartiennent au Musée du Louvre. Les autres pépites de la vente, de provenance impériale cette fois, font partie du service Orloff, commandé par Catherine II de Russie (1736-178) à Jacques et Jacques-Nicolas Roëttiers et offert à son amant le comte Orloff. Il s’agit d’une soupière (est. 1,5 à 2 millions d’euros) et de quatre flambeaux en argent (est. 500 000-800 000 euros), adjugés respectivement à 1,7 million d’euros et 601 500 euros à un acquéreur dans la salle. Enfin, un petit bijou de l’orfèvrerie française du XVIIIe, un sucrier en or par Louis Picasse, de la collection Viviane de Witt, a été vendu pour 961 500 euros (est. 500 000 à 800 000 euros). Selon Marine de Cenival, spécialiste senior du département orfèvrerie, « les résultats obtenus confirment l’intérêt des amateurs pour les pièces historiques ».

Moins d’acheteurs
Du côté de Sotheby’s, le chiffre d’affaires est moins satisfaisant : 5,4 millions d’euros frais compris, pour une estimation initiale de 6,5 à 9,5 millions d’euros. De bons résultats sont à noter en sculpture, contrairement au mobilier, « qui, d’une manière générale, se vend moins bien que les objets d’art », commente Isabelle Bresset, commissaire-priseur. L’enchère la plus élevée concerne un panneau en marqueterie de pierres dures représentant l’Allégorie de l’Architecture, Florence, Galleria dei Lavori, vers 1754, dessin de Giuseppe Zocchi (1711-1767). Estimé 450 000 à 600 000 euros, il s’est envolé à 1,4 million d’euros. Une importante figure féminine formant porte-torchères, vers 1878, par Albert Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887), a été adjugée à 217 500 euros, sur une estimation de départ de 200 000 à 300 000 euros. Quant à la commode en cabinet en laque du Japon et placage d’ébène de la fin de l’époque Louis XV, estampillée « I. DUBOIS », elle a été ravalée, comme 188 lots sur les 403 proposés. D’après un spécialiste du secteur, « ces invendus prouvent qu’il y a moins d’acheteurs pour les pièces plus courantes et que les estimations étaient trop élevées ».
Dans tous les secteurs du marché de l’art aujourd’hui, demeure une constante : le rare et l’exceptionnel trouvent toujours preneur, « mais contrairement à l’art moderne et contemporain, les achats dits classiques sont plus raisonnés et ne se font pas à n’importe quel prix », souligne Laurent Hache.

Si la demande est restreinte et les grands antiquaires moins présents, « les acheteurs traditionnels et les décorateurs sont là. Il faut s’adapter et donner envie aux gens de s’y intéresser. Ce n’est pas un marché moribond, même si certaines choses sont moins à la mode que d’autres – on utilise moins les commodes que par le passé », note Isabelle Bresset.

(1) Les résultats sont donnés frais compris et les estimations, hors frais.

CHRISTIE’S
Estimation : 7 à 10,5 M€
Résultat : 10,7 M€
Lots vendus/proposés : 225/345

SOTHEBY’S
Estimation : 6,5 à 9,5 M€
Résultat : 5,4 M€
Lots vendus/proposés : 215/ 403

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°401 du 15 novembre 2013, avec le titre suivant : Un marché à deux vitesses

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