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Sotheby’s et Christie’s relèvent la tête

L'ŒIL

Le 1 juin 2002 - 730 mots

La satisfaction affichée par Sotheby’s et Christie’s à l’issue des ventes d’art impressionniste et moderne de New York, début mai, est à la mesure de l’incertitude qui les avait précédées. Les deux géants des enchères, qui se partagent quelque 90 % du marché mondial, montraient profil bas depuis la reconnaissance de leur responsabilité dans une affaire de violation de la loi antitrust américaine (cf. encadré). De son côté, Phillips, de Pury & Luxembourg, la troisième plus importante maison de vente au monde, annonçait, trois semaines avant la date prévue, l’annulation de sa vente d’art impressionniste et moderne, en invoquant l’impossibilité de réunir suffisamment de lots d’importance. Mais il y a plus : le groupe LVMH s’est désengagé en février du contrôle de Phillips, cédant la majorité des parts aux deux principaux dirigeants, Simon de Pury et Daniella Luxembourg. Sans le soutien de LVMH, la maison n’a semble-t-il plus les moyens d’inquiéter Sotheby’s et Christie’s sur le marché colossal des ventes d’art impressionniste et moderne « de printemps ».
Inquiétante pour ce qu’elle révèle de l’état du marché, la défection de Phillips est toutefois venue à point nommé donner de l’air aux deux grands. Sotheby’s, qui avait mis la main, entre autres, sur la collection de Samuel et Luella Maslon, et celle de Grace et Philip Sandblom, avait assuré ses arrières en s’associant avec deux marchands new-yorkais, ceux-ci partageant les bénéfices et les risques pour certains lots. Christie’s peinait à suivre, ne rassemblant que 256 œuvres impressionnistes et modernes quand Sotheby’s en proposait 302.
Les estimations, chez les uns et les autres, sont restées relativement prudentes et les enchères leur ont donné raison, à quelques exceptions près. Chez Christie’s, une huile sur toile de Caillebotte (Un soldat), prêtée jusqu’à l’an dernier au Metropolitan Museum de New York, a atteint près du double de son estimation, au maximum 3,5 millions de dollars. De même, l’œuvre phare de la première vente, Danaïde, un bronze de Brancusi recouvert à la feuille d’or et patiné, acheté auprès d’Alfred Stieglitz en 1914 et absent du marché depuis, a été vendu quelque 18 millions de dollars – un record pour une sculpture – alors que l’estimation en donnait 8 à 10 millions. Le lendemain, un bronze de Duchamp-Villon était porté jusqu’à 1,4 million de dollars, décuplant ainsi son estimation moyenne. L’emballement très récent de la cote de la sculpture moderne s’est confirmée chez Sotheby’s, notamment avec un bronze patiné de Giacometti (Grande Tête de Diego) que se sont disputé cinq enchérisseurs. Acheté 5 000 dollars par les Maslon en 1956, il a été adjugé 13,7 millions de dollars, soit le double de son estimation haute. L’enchère la plus élevée de la vente Sotheby’s, 16,8 millions de dollars, est allée à une nature morte de Cézanne (Pichet et Assiette de poires) en restant conforme à l’estimation.
Ce ne fut pas le cas pour un Gauguin, remis en vente par un collectionneur qu’il l’avait acheté quelque 18 millions de dollars chez Sotheby’s, en 1980. Estimé sans doute pour cette seule raison entre 15 et 20 millions de dollars, le tableau ne suscitait aucune enchère à plus de 11,5 millions et n’était finalement pas vendu. Sur l’ensemble des ventes, Sotheby’s a tout de même «ravalé» 56 lots et Christie’s 66 ! Pour autant, les résultats des ventes d’art impressionniste et moderne (respectivement 149 et 119,7 millions de dollars) sont restés dans les prévisions de chacun. Sitôt leur première vente terminée, les responsables du département  impressionniste et moderne de Sotheby’s ont même avoué leur surprise et se sont félicités d’un marché toujours «réactif». Même son de cloche chez Christie’s, malgré un résultat moins probant.
Mais ceci ne doit pas masquer les flottements du marché dans son ensemble et les difficultés que connaissent les galeries et les musées américains, y compris les plus importants, acculés pour certains, comme le Met, à de drastiques coupes budgétaires. Ainsi, aucun musée ne s’est porté acquéreur d’œuvres impressionnistes et modernes majeures. Excepté quelques marchands, l’essentiel des «gros lots» a été acquis par des collectionneurs privés, souvent américains. Nul doute, donc, que nombre d’œuvres achetées ce printemps réapparaîtront sur le marché dès qu’une conjoncture à la hausse permettra d’intéressantes plus-values, l’art impressionniste et moderne étant notoirement une valeur-refuge dont le rendement défie tous les fonds de placement et titres en bourse.

- Christie’s New York, 7 et 8 mai ; Sotheby’s New York, 8 et 9 mai.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°537 du 1 juin 2002, avec le titre suivant : Sotheby’s et Christie’s relèvent la tête

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