Collectionneur

Serge Aboukrat

L'ŒIL

Le 1 novembre 2002 - 959 mots

Galeriste, éditeur, organisateur d’expositions, conseiller de la banque NSM-ABN-AMRO, Serge Aboukrat est un personnage atypique que l’on croise régulièrement, en train de chiner ou dans les vernissages. Le genre de personnage qui ne passe pas inaperçu, un homme du Sud, né à Oran, jovial à la générosité entière, qui aime faire les choses avec cœur.

Demandez-lui de vous montrer sa collection, et il vous montre de longues listes où plus de 500 œuvres sont répertoriées, mais invisibles : « Ma collection est enfermée dans une réserve... Je n’ai pas assez d’espace chez moi, et il y a des œuvres très grandes... Le fait d’acquérir une œuvre me suffit, je l’enregistre mentalement. Mais j’ai chez moi quelques petites pièces : une peinture de Martin Barré et des photos de Dolorès Marat, Jean-Christian Bourcart et une sculpture de Jennifer Bolland sans oublier quelques clichés-verre, ma nouvelle passion. Mais je ne peux pas vivre au milieu de ma collection, c’est un peu trop vulgaire. » Une collection à 90 % de photographies, mais la peinture n’est pas en reste avec Gérard Traquandi ou Marie Ducaté de l’école de Marseille :
« Je l’adore car elle peint les hommes comme les hommes peignent les femmes ! » Un virus de la collection attrapé jeune, à Nice, avec une statue de Zadkine chinée. Mais collectionner, c’est pour lui aussi une histoire d’amitié, surtout avec Gilles Dusein (galeriste précurseur mort en 1993) et le photographe Jean Pierre Godeau. Une histoire d’amitié et de coup de cœur plus que d’argent : « Collectionner, ça m’évite une psychanalyse, et ce n’est pas plus cher. En vingt ans, je n’ai pas dépensé plus d’un million de francs, j’en suis sûr. Je chine beaucoup, et j’aime découvrir des artistes. Quand j’ai acheté mon Gursky, il n’était pas cher et à l’époque tout le monde se foutait de moi ! Je ne collectionne pas, j’affectionne ! Et puis il y a des hasards fabuleux : « il y a deux images de Edward Steichen que j’adore, le portrait de Rodin et le portrait de JP Morgan, je les ai trouvés pour rien, relativement facilement ! » Le « name droping » n’est pas son genre et il faut lui tirer les vers du nez pour « visiter » sa collection : un long listing où l’on retrouve pêle-mêle : Robert Mapplethorpe, Thomas Demand, Bernard Faucon, Marcel Bovis, Diane Arbus, Raymond Voinquel, Alain Jacquet, Hiroshi Sugimoto, Larry Clark, Andy Warhol, Robert Polidori, Helmut Newton, Bernard Plossu, Nan Goldin, Patrick Tosani, Bill Henson, Pierre Molinier, Marcel Bovis, Frantisek Drtikol, Sam Samore, Marc Trivier, Edward Steichen, Jonas Mékas, Richard Billigham, Philippe Ramette, Sophie Calle , sans oublier la sainte trinité allemande Ruff, Struth et Gursky, et encore bien d’autres.

Sa dernière passion :
les clichés-verre
« C’est ma dernière passion... Pour moi c’est vraiment l’ancêtre de la photographie. Nous sommes en 1850, la photographie commence à apparaître et des artistes peintres commencent à l’adopter avec ce procédé, des artistes comme Charles Daubigny, Jean-François Millet, Camille Corot ou Eugène Delacroix... Plus tard cette technique a été utilisée par Man Ray et Picasso ». Le procédé : un artiste produit un dessin en rayant avec une pointe ou un stylet une couche opaque de collodion étendue sur une plaque de verre. Cette plaque est ensuite utilisée comme négatif pour tirer des épreuves positives du dessin, en général ils posaient la plaque en plein soleil, un quart d’heure, sur du papier albuminé ou sur papier salé. Une passion encore abordable : « Ce n’est pas très cher, on en trouve en Chine à tous les prix, ils peuvent atteindre moins de 3 000 euros. Les plus rares sont ceux de Millet car très demandés par les Japonais. Les plaques, appelées le support-verre, sont très rares à trouver ».

Son œuvre fétiche
« C’est une œuvre que je n’ai pas... Un tableau de Gérard Traquandi, Ella Fitzgerald, un très grand tableau qui représente des fleurs vues à travers l’œil d’un cheval. On dirait que chaque fleur est immense, c’est très sensuel, féminin, fait avec de la vraie peinture ! Comme il travaille par série, il y en a d’autres très proches, mais j’adore celui-ci, peut être parce que je ne l’ai pas.
J’ai d’autres œuvres de Traquandi. Pour moi il n’a pas la place qu’il mérite en France. »

Ses lieux
« Pour moi, c’est la Maison européenne de la Photographie car j’aime beaucoup Jean-Luc Monterosso et j’aime beaucoup sa manière d’agir, c’est quelqu’un de généreux, d’attentionné. Il y a beaucoup de centres qui se veulent plus rigoureux mais ils n’apportent pas grand chose à la société. J’aimerai présenter toute ma collection, il était question du Centre national de la Photographie, mais c’est reporté. La Fondation Antoine de Galbert serait bien. Et puis j’aime bien aussi ma galerie, sans doute la plus petite de Paris mais dans l’un des plus beaux lieux : la place Furstenberg. J’y expose des gens que j’aime comme Dolorès Marat, Kenneth Anger, Mac Adams et pour le moment une artiste allemande, Gitta Seiler, une sorte de reportage social sur l’ex-Allemagne de l’Est et la Russie, un travail poignant et profond sur les enfants abandonnés et l’avortement, le tout sans pathos ! Je fais aussi des éditions limitées, des boîtes d’allumettes signées César, Pascal Dussapin, Mike Lash, Ben, Raymond Hains, Jean-Michel Foquet... On a sorti aussi des serviettes de bain avec Alain Jacquet, Roger Vivier et je prépare une boîte à musique avec Pascal Dussapin ».

PARIS, galerie Serge Aboukrat, 7, place Furstenberg, tél. 01 44 07 02 98, exposition Gitta Seiler dans le cadre du Mois de la Photo, 29 octobre-26 novembre. A lire : Alain Paviot, Le cliché-verre, éd. Paris-Musées, 1995, et Claude Bourret, Corot, le génie du trait, Bibliothèque nationale de France, 1996.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°541 du 1 novembre 2002, avec le titre suivant : Serge Aboukrat

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