Salon du dessin, entre didactisme et mécénat

Par Marie Maertens · L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 1206 mots

Rendez-vous devenu incontournable à l’orée du printemps, la Semaine du dessin prend chaque année plus d’ampleur et permet d’admirer et d’acheter les œuvres présentées au salon éponyme, mais également de visiter de nombreuses expositions organisées en parallèle par les galeries ou les musées. Cette année, la thématique centrée sur la gestion et la conservation des œuvres sera l’occasion de découvrir des feuilles issues des réserves ou récemment restaurées. Une préoccupation également à l’origine de l’action mécénale menée par la Société du dessin.

Le Salon du dessin a été créé en 1991, à l’initiative d’une dizaine de marchands parisiens, membres de la société du même nom. Réunissant au début une petite quinzaine de galeries, il fait rapidement des émules et accueille à présent vingt-cinq marchands, sélectionnés à tour de rôle.
Les membres fondateurs tiennentà maintenir un espace à taille humaine, convivial et chaleureux, qui l’apparente à un cabinet d’amateur. Pour les participants, l’avantage d’être en comité restreint permet d’expérimenter des choix plus risqués, sans avoir besoin de mettre en avant des pièces « accrocheuses ». L’édition 2003 prouve néanmoins que les artistes aux noms prestigieux sont toujours recherchés.
Ce concept semble plaire aux visiteurs, composés de conservateurs, collectionneurs aguerris ou récents amateurs, puisqu’ils sont dix mille à s’y presser chaque année, sur six jours d’exposition, et où plus d’un visiteur sur dix achète. Le marché du dessin a connu ces dernières années un nouvel intérêt. À cela, deux explications : le constat, de la part des connaisseurs, qu’ils pouvaient acquérir un très beau dessin pour le prix d’une peinture de qualité moyenne, et la raréfaction croissante sur le marché de la peinture de véritables chefs-d’œuvre. Cette demande a entraîné une très forte augmentation des prix, qui seraient en moyenne dix fois supérieurs, quand ça n’est pas beaucoup plus, à ceux pratiqués dans les années 1990 ! Parfois, les dessins de certains artistes s’achètent  plus chers que leurs peintures ou sont tout bonnement les seules œuvres à vendre, comme chez Léonard de Vinci ou Michel-Ange. Les dessins des XVIe et XVIIe siècles commencent d’ailleurs à se raréfier. En revanche, sur le salon, les œuvres des XVIIIe, XIXe et XXe siècles (jusqu’à 1950) sont très bien représentées. Comme le souligne Bertrand Gautier, de la galerie Talabardon & Gautier, « le dessin représente un marché plus patrimonial, il rentre dans le cadre d’un investissement. Les gens qui achètent travaillent à long terme, en général sur une génération ». Pour ses participants, ce qui fait indéniablement la réussite de cette manifestation est qu’elle attire les plus grands collectionneurs internationaux et les représentants des plus grands musées, véhiculant un équilibre entre le marché privé et institutionnel qui garantit un marché « sain ».
Parmi les œuvres d’exception, on remarquera un très élégant dessin à la plume et encre brune du Guerchin, chez la londonienne Flavia Ormond, Esther s’évanouissant dans les bras de deux servantes vers 1637. La galerie Talabardon & Gautier expose un fusain sur toile à préparation lilas de Millet, intitulé Le Vanneur au repos et datant de 1870. Millet est aussi mis en avant à la galerie De Bayser avec une sanguine, technique assez rare dans l’œuvre de l’artiste, intitulée Confidence et dont il n’existe pas de tableaux correspondants, mais deux dessins noirs des années 1846-1848.
La galerie propose également un dessin de Cambiaso, célèbre pour ses vues « cubisantes » comme cette œuvre à la plume, encre brune et lavis brun, L’Arrivée à cheval, vers 1560, où les têtes et
les corps sont stylisés de façon géométrique. François Boucher est chez Éric Coatalem avec une Vénus présentant Énée à Jupiter et à Junon, au crayon, encre brune et lavis sur fusain. Cette œuvre est une étude pour un tableau ovale commandé en 1746 et exposé à Marly. C’est également sur cet artiste que s’est porté le choix de Didier Aaron avec une sanguine aux rehauts de craie blanche, Étude pour le personnage de Daphnis, de 1743-1745, feuille préparatoire pour le tableau Daphnis et Chloé appelé encore Berger près d’une jeune bergère endormie de la Wallace Collection de Londres. Autre œuvre du XVIIIe siècle, chez le Hambourgeois Thomas le Claire, Deux figures chinoises se tenant sous une ombrelle, un dessin à la plume et à l’encre brune d’environ 1757 de Tiepolo.
Cet artiste est encore à l’honneur chez Artemis, une galerie anglaise qui s’est implantée en France en 2001 avec Un couple élégant se promenant aux abords d’un village de 1795.
Encore des noms prestigieux, notamment chez le Londonien Jean-Luc Baroni, qui a apporté une Danseuse ajustant ses collants, un fusain et pastel d’environ 1885 signé Degas. Antoine Laurentin, spécialisé dans les nabis et l’école de Pont-Aven, avoue privilégier souvent la qualité et l’originalité de l’œuvre par rapport au nom.
On trouvera néanmoins chez lui un Paysage au pastel d’un certain... Picabia, datant de 1910 ainsi qu’une aquarelle et gouache de Vuillard, Le Balcon, un projet d’affiche pour le Théâtre libre. Mais le galeriste défend aussi Saint-Marceau, Rasetti... Parmi les œuvres les plus contemporaines du salon, Brame & Lorenceau présente une Étude pour Île-de-France d’Hélion, une aquarelle exécutée en 1935 pour l’huile sur toile éponyme de la Tate Gallery. Ou encore Femme et Oiseau devant le soleil, une aquarelle de Miró, datant de 1942, proposée par Simon Dickinson. Ce marchand privé anglais dévoilera aussi un admirable dessin de Seurat, En marche, de 1882. De l’esquisse au dessin accompli, du classicisme à l’exotisme des artistes voyageurs de la galerie Philippe Heim, chacun trouvera une œuvre qui puisse satisfaire son goût, avec des prix débutant à 1 000 euros pour atteindre des montants que les galeristes préfèrent ne pas communiquer. Les visiteurs pourront également faire un don pour participer à la restauration d’un des portraits du xvie siècle issu du fonds Clouet du musée de Chantilly. Une initiative née à la suite du constat qu’il demeure encore plus de cent soixante-dix œuvres à rafraîchir, sur les trois cent soixante-cinq portraits de la collection du château, malgré une vaste campagne de restauration.
La Société du dessin en a pris en charge trois qui seront exposés au Salon.
Tous ces chefs-d’œuvre et ces découvertes s’accompagnent de bien d’autres manifestations dans la capitale et en province.
Les musées parisiens tels que Bourdelle, Carnavalet, Cognacq-Jay, ou encore la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et le musée Victor Hugo présenteront, aux cours de conférences organisées par les conservateurs ou les restaurateurs, des œuvres provenant des réserves ou venant d’être « nettoyées ».
La Bibliothèque nationale propose une sélection de dessins des xvie et xviie siècles issue de son fonds, l’École nationale supérieure des beaux-arts, une exposition temporaire des dessins de David Smith et la fondation Custodia les dessins français du XVIIIe siècle du Rijkmuseum d’Amsterdam.
À Chantilly, le musée ouvre son atelier de restauration pour expliquer au public les différentes étapes nécessaires : dépoussiérage, démontage, nettoyage, comblement des lacunes et remontage sous carton à pH neutre. Sans oublier l’exposition Winthrop du musée des Beaux-Arts de Lyon (L’Œil n° 545).
Une semaine qui semblera bien succincte pour toutes ces visites, à quant le Mois du dessin ?

Salon du dessin, salons Hoche, 9 av. Hoche, VIIIe, du 26 au 31 mars. Semaine du dessin, du 24 au 30 mars. Renseignements au 01 45 22 61 05.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Salon du dessin, entre didactisme et mécénat

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