Salon de Mars, pari gagné

L'ŒIL

Le 1 avril 2001 - 1205 mots

A quoi tient le succès d’un salon d’art ? Difficile à dire. L’alchimie en est délicate, ça prend ou ça ne prend pas. Une chose est sûre : en cas d’échec, la sanction est sanglante. Organiser une énième foire à Genève dans la foulée de Maastricht qui s’affirme comme la première manifestation du genre était un pari courageux et risqué. Il est gagné. Un bilan chiffré ? « Pas question, répond Daniel Gervis, organisateur avec Viviane Jutheau du Salon de Mars, les montants annoncés dans ce cas sont toujours faux et mensongers ». En revanche, on peut s’appuyer sur quelques faits précis et significatifs. L’an dernier, un amateur a effectué plus de 18 millions d’achats de tableaux modernes et d’objets de collection chez différents marchands. Et l’on a eu vent de quelques transactions spectaculaires comme les 13,5 MF payés pour une paire de commodes d’époque Régence chez Camille Bürgi. « J’avais retenu un stand de 140 m2, dit-il. J’ai plusieurs clients en Suisse, j’ai établi de nouveaux contacts avec des résidents étrangers et j’ai très bien travaillé. Pour ce public, il faut une marchandise de grande classe ».  Patrice Simonot de Versailles souligne volontiers que la fréquentation du salon est allée crescendo. « Un phénomène paradoxal, explique-t-il. Ce salon est une divine surprise, qui laisse bien augurer de l’édition 2001 ». Le Franco-Belge Philippe Guimiot, spécialiste de l’art primitif, avoue qu’il était venu par amitié pour Daniel Gervis. « Pour moi, c’était un coup d’épée dans l’eau ! Eh bien pas du tout. Mes objets étaient très beaux et j’ai eu affaire à des collectionneurs bien informés qui se sont fait plaisir. Le résultat a été très positif ». Idem chez Ratton-Hourdé. « Le succès a dépassé nos espérances, dit Daniel Hourdé. On nous avait dit qu’à Genève on ne vendait rien. Ce n’est pas vrai, les acheteurs sont au rendez-vous si l’on sait privilégier les pièces de haut niveau ». La galerie a choisi une spectaculaire statuette Yombé du Congo. Côté tableaux anciens et modernes, même son de cloche : Monica Kruch, de la galerie d’Art Saint-Honoré, a vendu des tableaux flamands dont un Brueghel. Suzanne Orlando d’Art Focus de Zurich dit avoir rencontré de nouveaux collectionneurs suisses romands et français. Aussi revient-elle avec, entre autres, une gouache de Chagall de 1957, L’Ecuyère au cheval rouge. Le Salon de Mars a démarré en flèche. Faut-il s’en étonner ? Certes, la Suisse fait office de coffre fort pour le monde entier et le pouvoir d’achat y est très élevé mais là n’est pas la seule raison. « Il y a dix fois plus de collectionneurs sur les pourtours du lac Léman que dans tout l’Hexagone », assure Daniel Gervis. Bref, les participants de l’an dernier se bousculent au portillon, 80 % d’entre eux sont de retour, tandis que d’autres disciplines, absentes en 2000, font leur apparition : l’Art Déco avec L’Arc en Seine et Dutko. Chez le premier, on verra un guéridon recouvert de galuchat de Jean-Michel Frank, chez le second une commode secrétaire gainée de cuir rouge de Dupré-Lafon. S’ajoutent aussi la céramique ancienne avec Vandermeersch et l’Extrême-Orient avec Christian Deydier. Ce dernier n’a pas hésité : « Je fais près de la moitié de mon chiffre d’affaires en Suisse, explique-t-il. Les amateurs y sont très connaisseurs ». A voir chez lui deux rarissimes masques funéraires d’un homme et d’une femme, de la dynastie Liao (916-1125). Du côté de l’archéologie, à Rupert Wace de Londres, qui présente une tête en basalte (Egypte XXVe dynastie), s’est joint Rhéa de Zurich. Parallèlement, le salon s’internationalise. L’an dernier le contingent français était majoritaire. C’est toujours vrai, mais les Anglais sont passés de 4 à 10. Malborough, Connaught Brown, Coskun fine Arts et Entwistle de Londres ont rejoint le peloton de tête. Ce dernier apporte un masque Punu de toute beauté. Les Italiens, emmenés par Del Leone de Venise, Forni de Bologne, Tega de Milan, Contini de Venise font une percée remarquée. Enfin, une galerie japonaise, Fuji de Tokyo, a fait le déplacement avec un tableau du Chinois A-Sun-Wu, Man and Woman. Quelques nouveaux venus sont des poids lourds dans leur spécialité comme Ribolzi de Monaco, Perrin (console en bois peint, époque Louis XV, Brame & Lorenceau (Chemin à l’Orée du Bois de Caillebotte), Coatalem, Claude Bernard de Paris, Blondeau de Genève. Enfin, un retour remarqué, celui de Jean-Paul Fabre qui n’a participé à aucun salon depuis une quinzaine d’années. « J’ai été séduit par les volumes et la luminosité du lieu qui me rappellent le Grand Palais. A mon avis, c’est un salon qui va se développer ». Un peu clinique et froid ce grand hall industriel de Palexpo pour abriter des œuvres d’art ? Daniel Gervis récuse l’objection. « Le plus beau cadre, explique-t-il, est celui qui disparaît ». Au demeurant, chacun fera son stand à son idée. Certains surprendront, comme celui
de la librairie Léonce Laget qui a fait appel à la décoratrice parisienne Marie-Christine de La Rochefoucauld. Autre préoccupation des organisateurs : échapper au gigantisme et ne pas saturer le visiteur en mettant les spécialités en rangs d’oignon. « Pour mettre en appétit les collectionneurs, assure Daniel Gervis, il ne faut pas hésiter à mélanger les genres ». Spécialiste du tableau contemporain, il fait stand commun avec Fabre et propose au visiteur d’embrasser du même regard un tableau de Hartung de 1966 et une console desserte Louis XVI de Lacroix, le tout encadré par
une merveilleuse boiserie d’époque Louis XV de Féau. Ce concept, la Franco-Américaine Carolle Thibaut-Pomerantz y est très sensible. Elle actualise toujours ses extraordinaires papiers peints en y joignant des meubles du XXe siècle. Cette fois, ils seront associés aussi aux céramiques anciennes de Vandermeersch. Elle a choisi cette année un panneau, Allégorie des Cinq Sens, identique à ceux,
fin XVIIIe, exposés au Château d’Allaman et d’En Haut à Démoret dans le canton de Vaud. De même, Eric Coatalem présente ses maîtres anciens avec les œuvres modernes du Britannique Connaught Brown. Au premier coup d’œil, vous apercevrez côte à côte une sculpture de Lynn Chadwick et un dessin allemand du XVIIIe. L’aspect culturel de la manifestation est à souligner. « Nous voulons sortir d’une logique purement commerciale », explique Viviane Jutheau. Dans cette optique, un colloque-débat dirigé par le Centre du Droit de l’Art se tiendra le mercredi au milieu du salon.
Le thème ? « Le transfert des biens culturels face à la Convention de l’Unesco ». Sujet brûlant alors que les Talibans iconoclastes s’attaquent avec des chars et des explosifs aux bouddhas de Bamiyan. On y attend des intervenants prestigieux, dont le collectionneur George Ortiz. 12 000 entrées la première année. Combien de visiteurs pour le millésime de l’An II ? L’avenir le dira. Les organisateurs ont vu grand, suivant  le conseil que les professeurs d’Harvard donnent à leurs élèves :Think big. Mais la concurrence est rude sur ce créneau. Il y a Maastricht, la Biennale et aussi New York qui relooke sa foire qui s’appellera désormais America International Art and Antique Fair. Les Anglais, de leur côté, annoncent une nouvelle politique pour Olympia. Pour l’instant, Genève ne fait pas du tout pâle figure dans ce concert des grands.

GENEVE, Palexpo Grand Saconnex, aéroport, hall 2, 31 mars-8 avril.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°525 du 1 avril 2001, avec le titre suivant : Salon de Mars, pari gagné

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