Droit

Quand la vente aux enchères d’un cadeau fâche le donateur

Par Éléonore Marcilhac, avocate à la cour · Le Journal des Arts

Le 29 juillet 2021 - 774 mots

CAEN

Pour la cour d’appel de Caen, une tapisserie offerte pour un anniversaire de mariage et revendue plus tard aux enchères par l’épouse est un présent d’usage, non un don.

 Château de Martinvast. © Irina Vuchkova, 2012, CC BY-SA 3.0
Château de Martinvast, propriété de la dynastie de collectionneurs Schickler-Pourtalès.

Caen (Calvados). Sources de joie, les cadeaux offerts par amour ou générosité pour une occasion particulière comme une naissance, un mariage, un anniversaire ou encore l’obtention d’un diplôme peuvent aussi être à l’origine de conflits tumultueux au sein d’une même famille, notamment lorsqu’il s’agit d’œuvres d’art de grande valeur.

Une tapisserie gothique issue du château de Beaurepaire, appelé aussi château de Martinvast, propriété de la dynastie de collectionneurs Schickler-Pourtalès, fut ainsi au centre des débats opposant la seconde femme du comte Christian Hubert de Pourtalès à ce dernier puis à certains de ses ayants droit.

Marié en secondes noces sous le régime de la séparation de biens pure et simple en 1993, M. de Pourtalès avait offert pour leurs dix ans de mariage à son épouse une des tapisseries médiévales ornant le château de Beaurepaire. Un an avant leur séparation en 2006, elle décida d’emporter cette tapisserie en Allemagne, puis de la céder aux enchères par l’intermédiaire de Sotheby’s en 2013. Estimée entre 47 000 et 71 000 euros, la pièce fut vendue 1 202 500 livres sterling, soit 1 412 500 euros.

Une valeur en rapport avec le patrimoine du donateur

Considérant toutefois qu’il ne s’agissait nullement d’un cadeau, M. de Pourtalès, placé sous la curatelle de l’un de ses fils puis sous tutelle, assigna son épouse aux fins de la voir condamner au paiement du montant de la vente ainsi qu’à un euro symbolique en indemnisation de son préjudice moral. Débouté, il fit appel, arguant principalement du fait que la donation n’était pas établie et, subsidiairement, qu’il ne s’agissait pas d’un présent d’usage comme le prétendait son épouse. Après son décès en 2018, certains de ses ayants droit poursuivirent l’instance.

Le 23 mars 2021, la cour d’appel de Caen confirma cependant la position des premiers juges au visa de l’article 852 du code civil, en retenant que cette tapisserie constituait bel et bien un présent d’usage. Ainsi qualifiée, la tapisserie échappe alors à la réglementation des dons manuels, elle n’est ni rapportable à la succession, ni imposable, ni réductible ou révocable.

Sauf dispositions contraires du donateur en effet, le présent d’usage ne peut pas être rapporté. Toutefois deux conditions cumulatives doivent être remplies pour bénéficier de ce régime. Le cadeau doit impérativement être apprécié « à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ». Il doit donc être offert pour un événement particulier lors duquel il est d’usage de faire un présent et ne doit pas excéder une certaine valeur au regard de l’importance du patrimoine du donateur au jour du cadeau.

C’est ce qu’en l’espèce ont constaté les juges d’appel en relevant à la lecture des différentes pièces produites par l’épouse – dont une attestation manuscrite authentique du comte datant de 2003 et une attestation de propriété établie par un notaire ultérieurement –, que la tapisserie lui avait effectivement été offerte par son défunt mari en 2003, pour leur dixième anniversaire de mariage.

En revanche, se posait la question de la valeur du cadeau compte tenu de la fortune du comte, car aucune valorisation de la tapisserie n’avait été faite en 2003. Cette valeur est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond, car aucune règle de proportionnalité de la valeur du présent d’usage par rapport à la fortune ou aux revenus du donateur n’est retenue par les textes ou l’administration fiscale.

Pour pallier cette carence et connaître la valeur du bien, la cour a alors retenu le raisonnement des premiers juges, qui se sont fondés sur les estimations données par Sotheby’s (47 000 €-71 000 €) et non sur le prix de vente de la tapisserie. Car pour la cour, « le fait que les enchères se soient envolées pour atteindre un montant d’1,4 million ne permet pas de retenir ce prix comme reflétant la valeur réelle du présent au jour où il a été fait ».

Ainsi, après avoir considéré que la valeur estimée de la tapisserie était en rapport avec la fortune du défunt en 2003, la cour a estimé que la tapisserie constituait un présent d’usage et non un don manuel, et a condamné les appelants aux frais de justice et aux dépens.

Avant un éventuel rebondissement de cette affaire devant la Cour de cassation, on notera qu’après le succès de la vente aux enchères de la collection Schickler-Pourtalès en provenance du château de Beaurepaire chez Sotheby’s en mai 2019 pour plus de 6,5 millions d’euros, le domaine ainsi que son château sont mis en vente depuis 2020.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Quand la vente aux enchères d’un cadeau fâche le donateur

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