Galerie

ART CONTEMPORAIN

Paul Wallach, présence et discrétion

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 15 septembre 2021 - 760 mots

PARIS

À la galerie Jeanne Bucher Jaeger, les sculptures subtiles et denses de l’artiste américain installé en France sont des dessins dans – mais aussi de – l’espace.

Paris. Dans l’hommage qu’il rendit à Paul Celan, Jacques Dupin termina son poème par ce vers : « Le poème n’a de cesse ni le livre n’a de fin. » Paul Wallach a repris ces derniers mots pour intituler l’une de ses sculptures N’a de fin. L’œuvre, qui avait été créée en 2015 pour la chapelle de Pluméliau (Morbihan), dans le cadre de la manifestation « L’art dans les chapelles » en Bretagne, est ici suspendue à l’entrée de la galerie ; elle se compose de fines lames d’épicéa ajourées et disposées en un long losange pouvant évoquer « la carotte de l’enseigne des tabacs », précise l’artiste. En son centre sont accrochés, à des bouts de ficelle, deux éléments en acier plein – une barre verticale et un petit parallélépipède horizontal –, qui, lorsqu’ils se heurtent, sonnent comme des cloches, résonnent et remplissent l’espace.

Le ton est donné : haute de 4 m, l’œuvre est de loin la plus grande de cette exposition, la plupart des autres (une vingtaine) étant de petit format, comme si Paul Wallach (né en 1960 à New York et installé à Paris depuis 1994) voulait concentrer leur densité et leur force au maximum, sans aucune déperdition. À l’exemple, dans la salle suivante, de Unlost, un tout petit tableau (22 x 27 cm), sorte de carré blanc sur fond à peine blanc. Cet art de la discrétion – mais d’une très forte présence – est poussé à l’extrême avec une œuvre voisine intitulée Impasse, d’un format encore plus petit (14 x 19 cm) où l’on découvre un triangle blanc sur fond blanc dans un cadre blanc sur le mur blanc. Comme si le mur faisait partie de l’œuvre qui rayonne et sort de son cadre.

De novembre 1991 à mars 1992, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris consacrait une importante rétrospective à Alberto Giacometti. Suzanne Pagé, la directrice du lieu, avait alors disposé sur un socle, dans l’escalier qui mène aux salles du bas, la plus petite sculpture de l’exposition. Elle précisait que ce n’était pas la peine d’en présenter là une plus importante, tant celle-ci prenait tout l’espace, comme si ce dernier était constitutif de l’œuvre. Une façon de dire qu’une œuvre se regarde et se lit avec l’espace qui l’entoure, celui dont elle se nourrit, qu’elle génère et oblige à prendre en compte.

Toutes proportions gardées, c’est ce que l’on ressent dans l’exposition de Paul Wallach, avec des œuvres certes de petit format mais d’une grande dimension. Quelques-unes sont en volume, comme des sculptures accrochées aux murs. Composées de morceaux de bois avec parfois une plaque de verre, elles révèlent d’improbables et complexes compositions, qui jouent avec les plans inclinés, verticaux, horizontaux, à la limite de l’équilibre et du déséquilibre, pour mettre en relief leur fragilité et leur subtilité.

Entre l’éphémère et la nécessité

Car chez Wallach rien n’est laissé au hasard. Le moindre morceau de bois, loin de provenir d’une récupération buissonnière, voit sa forme au contraire être méticuleusement taillée. De même, tout ce qui pourrait paraître assemblé spontanément est, à l’inverse, le fruit d’une réflexion, d’un grand soin dans la conjugaison des matériaux (bois, plâtre, plomb, acier, verre, papier, ficelle, crayon…) et dans la sélection même des morceaux de bois, choisis en fonction de leurs lignes pour créer un mouvement. Leur combinaison entre eux est là encore le résultat d’ajustements très précis qui vont jusqu’à faire passer, dans Plus lointain, un réel emboîtement de deux triangles pour un dessin au trait. Tout en finesse. Dans le communiqué de presse, Paul Wallach indique que ses réflexions « sur l’éphémère, la nécessité, la précarité, l’utilité, la vérité, l’ambiguïté, le temps, la lumière, le lieu, l’espace, la forme, le matériau, le volume, le vide, l’autonomie, l’identité, la légèreté, la lévitation et la pesanteur » sont au fondement de son travail. On ne saurait mieux dire avec cette longue énumération de termes à la source de ses œuvres minimalistes.

Compris entre 15 000 et 50 000 euros pour la plus grande œuvre, les prix peuvent paraître élevés. Mais l’artiste bénéficie depuis longtemps d’un marché soutenu aux États-Unis, en Allemagne et en Angleterre (avec la galerie Bastian à Berlin puis à Londres) et en Autriche (Galerie Heike Curtze à Vienne). En France, il a aussi un bon réseau de collectionneurs et a exposé dans des institutions comme le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne en 2014 ou le Domaine de Kerguéhennec en 2015.

Paul Wallach, Yielding Place,
jusqu’au 2 novembre, Galerie Jeanne Bucher Jaeger/Marais, 5, rue de Saintonge, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°573 du 17 septembre 2021, avec le titre suivant : Paul Wallach, présence et discrétion

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