Ventes aux enchères

Sessions de mai

Pas de crise à New York

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2008 - 486 mots

Les ventes d’art moderne et contemporain de Christie's et Sotheby's ont démenti la crise.

NEW YORK - « On l’a échappé belle », murmurait-on chez Christie’s le 6 mai, au terme de la vente impressionniste et moderne qui a généré 277,27 millions de dollars (178,05 millions d’euros), soit dix millions en dessous de l’estimation basse. Une vacation poussive, composée de quelques chefs-d’œuvre et d’une cargaison de pièces secondaires aux estimations très gonflées. Celles-ci restèrent parfois sur le carreau d’où un taux d’invendus de 24 %. « Business as usual », résumait quant à lui le spécialiste Andrew Strauss après la vente du 7 mai chez Sotheby’s. On pouvait être surpris qu’une cohorte de tableaux insipides aient trouvé preneur à des sommes coquettes, comme un paysage épouvantable de Cézanne ou un Monet plus proche d’Armand Guillaumin que du maître de Giverny. De part et d’autre, les victoires furent sans gloire. Chez les deux auctioneers, la sculpture s’en est sortie haut la main. Le climat fut plus électrique la semaine suivante, les ventes d’art contemporain balayant toute perspective de crise avec des résultats parfois sidérants. De qualité inférieure à celle de Sotheby’s, la vacation du 13 mai de Christie’s a totalisé 348,26 millions de dollars et 95 % de pièces vendues aussi bien en lot qu’en valeur. Une surprise pour des œuvres aux estimations exagérément optimistes et parfois trop connues du marché. Le lendemain, Sotheby’s jouait sur du velours avec les collections Helga et Walther Lauffs (lire le JdA no 281, 9 mai 2008, p. 6 et 27) et Camille O. Hoffmann, engrangeant son meilleur résultat avec un chiffre d’affaires mirifique de 362,03 millions de dollars et dix-huit records à la clé. Très animée lors des quarante premiers lots, la vente fut toutefois plombée par le rythme monocorde du marteau de Tobias Meyer, une trentaine de lots excédentaires, et la mévente d’un Rothko, alors même que, la veille, Christie’s avait décroché 50,44 millions de dollars pour une toile de l’artiste. Ce marathon explosif deux jours durant, où plus de 900 millions de dollars d’œuvres furent vendues, s’est achevé le 15 mai chez Phillips de Pury & Company avec un total de 59 millions de dollars, proche de l’estimation basse, devant un parterre de professionnels aussi indisciplinés que soulagés

COLLECTION DE LA MARQUISE DE MORBECQ. MEUBLES DE MARC DU PLANTIER

Impressionnisme Christie’s le 6 mai
- Total des ventes : 277,27 millions de dollars (178,05 millions d’euros)
- 76 % en lots
- 82 % en valeur

Impressionnisme Sotheby’s le 7 mai
- Total des ventes : 253,33 millions de dollars
- 78,8 % en lots
- 89,6 % en valeur

Contemporain Christie’s le 13 mai
- Total des ventes : 348,26 millions de dollars
- 95 % en lots
- 95 % en valeur

Contemporain Sotheby’s le 14 mai
- Total des ventes : 362,03 millions de dollars
- 88 % en lots
- 86,8 % en valeur

 

CHRISTIE’S

1/ Alberto Giacometti, Grande femme debout II, 1960, fonte, adjugée 27,48 millions de dollars, le 6 mai
Giacometti a joué la superstar chez Christie’s et Sotheby’s les 6 et 7 mai. La galerie Gagosian (New York), qui représente les intérêts de la Fondation Annette et Alberto Giacometti pour la commercialisation des fontes posthumes, a acheté la Grande femme debout, une fonte du vivant du sculpteur, au prix record de 27,48 millions de dollars. L’évolution de la cote de l’artiste est patente, puisque cette œuvre s’était vendue en 1987 pour 3,6 millions de dollars chez Christie’s. Toujours le 6 mai, le courtier Franck Giraud s’est saisi pour 3,6 millions de dollars de l’Homme (Apollon), un plâtre de 1929. « Nos estimations étaient conservatrices, ne paraissaient pas chères car il n’y avait pas de référence sur le marché », indiquait Thomas Seydoux, spécialiste de Christie’s à l’issue de la vente. Il est toutefois surprenant qu’un autre plâtre cubiste n’ait atteint que 1,8 million de dollars le lendemain chez Sotheby’s. « L’époque cubiste de Giacometti n’est pas la plus connue, alors que la composition Homme est plus célèbre et classique », justifiait Andrew Strauss, spécialiste de Sotheby’s. Le fait qu’une couleur, visiblement rajoutée par la suite ait été retirée, a dû aussi peser dans la balance.

2/ Claude Monet, Le Pont du chemin de fer à Argenteuil, 1873, adjugée 41,48 millions de dollars, le 6 mai
Ce tableau, autrefois dans la collection de l’armateur Stavros Niarchos et pour lequel Christie’s avait consacré 14 pages de son catalogue, a été adjugé le 6 mai pour le prix record de 41,48 millions de dollars. Propriétaire de la toile, la galerie Helly Nahmad a fait une jolie opération puisqu’elle l’a achetée en 1988 pour 12,4 millions de dollars chez Christie’s à Londres. La précédente plus forte enchère pour un Monet remonte à juin 2007, lorsque Sotheby’s a adjugé des Nénuphars pour 36,5 millions de dollars. Christie’s n’a pas défloré l’identité de l’adjudicataire ayant porté les enchères au téléphone, mais, selon certains observateurs, il s’agirait probablement d’un Américain.

3/ Richard Prince, Man-Crazy Nurse, 2002, adjugée 7,4 millions de dollars, le 13 mai
Acheté par le marchand new-yorkais Christophe Van de Weghe le 13 mai chez Christie’s, cette Nurse issue de la collection du producteur californien Douglas S. Cramer a établi un nouveau record à 7,4 millions de dollars. Le lendemain, une Millionnaire Nurse, au format un tiers plus petit, a été adjugée pour 4,74 millions de dollars. Celle-ci était cédée par l’éditeur Peter Brant, l’un des gros vendeurs de cette saison qui a obtenu des garanties pour plusieurs lots aussi bien chez Sotheby’s que chez Christie’s. En plein milieu de la quinzaine de ventes, Richard Prince a révélé que, désormais, il travaillerait « en indépendant », comprenez avec plusieurs marchands, Larry Gagosian en tête. Une pichenette à sa galeriste historique Barbara Gladstone, laquelle acceptera difficilement de perdre l’un de ses rares artistes vraiment lucratifs. Après Takashi Murakami, Prince est aussi devenu la coqueluche de LVMH pour une ligne de sacs. Une façon comme une autre de gérer sa carrière « en indépendant »...

4/ Lucian Freud, Benefits Supervisor Sleeping, 1995, adjugée 33,6 millions de dollars, le 13 mai
Ce tableau, qui a fait gloser Christie’s sur 8 pages de son catalogue, était proposé le 13 mai par les philanthropes Guy et Marion Naggar, basés à Cannes. De facture somme toute classique, mais pétrie d’un réalisme cru et sans pitié, cette toile représente Sue Tilley, l’un des modèles favoris de Lucian Freud, qu’il a rencontrée en 1993. L’enchère de 33,64 millions de dollars, venant détrôner le précédent record de 19,36 millions de dollars établi en novembre 2007 par IB and Her Husband, a propulsé le Britannique au rang d’artiste vivant le plus cher. Un privilège détenu brièvement en juin 2007 par un autre Anglais, Damien Hirst, avant de revenir en novembre 2007 à l’Américain Jeff Koons et son « Cœur magenta » cédé à 23,5 millions de dollars. Si les prix de Freud progressent à grands pas, ils restent encore à mi-chemin de ceux de son contemporain, l’Irlandais Francis Bacon.
SOTHEBY'S

5/ Fernand Léger, Étude pour la femme en bleu, 1912-2013, adjugée 39,24 millions de dollars, le 7 mai
Bien qu’adjugée au prix record de 39,24 millions de dollars, cette composition cubiste de Léger achetée par la galeriste suisse Doris Ammann n’a suscité aucune véritable joute d’enchères. Issue de la collection Hermann Lange, cette œuvre un tantinet faible est l’une des trois versions de la Femme en bleu, les deux autres étant conservés au Musée Léger à Biot (Alpes-Maritimes) et au Kunstmuseum de Bâle (Suisse). Le précédent record pour Léger revient à la Femme en rouge et vert, une toile restituée par le Centre Pompidou aux héritiers de Léonce et Paul Rosenberg et vendue pour 22,4 millions de dollars en novembre 2003 chez Christie’s. D’après des professionnels, l’Étude pour la femme en bleu aurait fait l’objet d’une garantie de 38 millions de dollars, garantie revendue à la galerie new-yorkaise Helly Nahmad. Une technique qui commencerait à sévir chez les auctioneers, puisque, de source autorisée, le Double Marlon de Warhol vendu pour 32,5 millions de dollars par Christie’s le 13 mai avait aussi fait l’objet d’une cession de garantie à une tierce personne.

6/ Henri Matisse, Le Géranium, 1910, adjugée 9,5 millions de dollars, le 7 mai
Est-ce le fond violacé, ou le sujet aussi inoffensif que décoratif, genre wall paper ? Difficile de trouver dans cette pochade de Matisse issue de la collection Catherine Gamble Curran de quoi justifier l’adjudication délirante de 9,5 millions de dollars sur une estimation de 2,5 millions de dollars chez Sotheby’s le 7 mai. Plusieurs professionnels se sont livrés à un rude combat, notamment Lionel Pissarro et Franck Giraud, courtiers associés mais enchérissant visiblement pour deux clients différents. C’est finalement la galerie new-yorkaise Acquavella qui a emporté la mise. Un exemple parmi d’autres des surprises du marché...

7/ Yves Klein, MG2, 1962 ; IKB1, 1960, adjugées 23,5 millions et 17,4 millions de dollars, le 14 mai
Le 14 mai, le courtier Philippe Ségalot a acquis coup sur coup les deux Yves Klein, le doré MG9 et le bleu IKB 1, issus de la collection Lauffs, respectivement pour le prix record de 23,5 et de 17,4 millions de dollars. Plusieurs professionnels ont été dans la course, la version bleue ayant notamment été poussée par Robert Mnuchin, codirecteur de la galerie L&M (New York). « Les versions dorée et bleue étaient de même dimension et formaient une paire exceptionnelle. S’il ne fallait avoir qu’un tableau de Klein, c’est bien le IKB 1 », confiait Philippe Ségalot à l’issue de la vente. Celui-ci n’a pas souhaité indiquer l’identité de son client. Le fait qu’il lui ait parlé au téléphone en français a toutefois alimenté les spéculations, certains misant sur François Pinault. Si tel est le cas, cet achat ne manquerait pas d’étonner, car le collectionneur français avait vendu en 2003 un beau relief de Klein.

8/ Francis Bacon, Triptyque, 1976, adjugée 86,28 millions de dollars, le 14 mai
« J’aime la juxtaposition des images séparées sur trois toiles différentes. Si tant est que mon œuvre ait la moindre qualité, alors c’est peut-être dans ces triptyques qu’elle est la meilleure », écrivait Francis Bacon en 1979. On comprend d’autant mieux la bataille téléphonique qui a donné lieu le 14 mai au record de 86,28 millions de dollars pour ce fabuleux triptyque d’inspiration prométhéenne. Rappelons que le précédent record, d’un montant de 52,68 millions de dollars, a été érigé en mai 2007 par Sotheby’s pour l’Étude du pape Innocent X. « On y trouve tous les symboles de Bacon, la lutte amoureuse, les journaux signe de la temporalité, les deux portraits qui fonctionnent comme deux sentinelles, ou comme des donateurs dans les tableaux anciens », indiquait le spécialiste Grégoire Billault, qui a convaincu le Bordelais Jean-François Moueix de mettre en vente ce tableau ayant appartenu à son père, Jean-Pierre. Reproduite en couverture du catalogue de l’exposition de 1977 à la galerie Claude Bernard (Paris), cette œuvre avait alors été achetée pour 2,5 millions de francs. Si l’adjudicataire reste anonyme, l’un des sous-enchérisseurs au téléphone était vraisemblablement le Taïwanai Pierre Chen, P.-D. G. de Yageo.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : Pas de crise à New York

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