Paris : sombres tableaux

Les ventes de juin, toujours la déprime

Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1995 - 1008 mots

La reprise observée lors des ventes new-yorkaises de mai ne s’est pas fait sentir à Paris, où plusieurs ventes de tableaux, boudées par les marchands, ont connu un taux d’invendus important et des prix d’adjudication modestes.

PARIS - Le constat est simple : que les tableaux proposés à la vente soient anciens ou modernes, l’habileté et l’importance de la promotion faite autour importe peu. Encore et toujours, le marché réclame de l’excellente qualité et des provenances irréprochables, comme en témoigne la paire de panneaux de chêne ronds de Pierre Brueghel le Jeune illustrant deux proverbes flamands, estimée entre 250 000 et 300 000 francs et adjugée 1 130 000 francs à une collection française, le 9 juin à Drouot, chez Mes Rieunier, Bailly-Pommery Mathias et Le Roux.

C’est aux collectionneurs que Me Jacques Tajan a attribué l’insuccès de sa vente de tableaux anciens provenant de la collection du marchand André Gombert. Selon le commissaire-priseur, "ils correspondaient moins bien au goût des amateurs, qui préfèrent les sentiers bien balisés à la recherche érudite". Or la vente ne comprenait que quelques sujets religieux et mythologiques difficiles (dont le très beau Judith tenant la tête d’Holopherne de Jan van Bylert, pourtant invendu). Les raisons de l’échec étaient ailleurs.

Les marchands prennent la température
Organisée le soir du 12 juin à l’Hôtel George V, la vente de Me Tajan a été boudée, comme la majorité des ventes de tableaux de juin, par les marchands internationaux. Une dizaine de leurs collègues parisiens s’était déplacée, "pour prendre la température", comme disait l’un d’eux, et émettre des doutes sur l’état de conservation des toiles de leurs confrères, mais surtout pas pour enchérir – "personne ne voulait les invendus d’un autre marchand." En fin de compte, seuls 30 lots sur les 92 du fonds Gombert ont été vendus, à des prix souvent modestes.

Sur les cinquante-deux autres tableaux anciens de la vacation, trente-six ont trouvé preneur. Une paire de toiles d’Hubert Robert, La cascade de Saint-Cloud et Le pont de Méréville, a même dépassé légèrement son estimation pour être adjugée 1 950 000 francs. Le théâtral Portrait de Bianca Capella du Florentin Alessandro Allori a été vendu 900 000 francs, et Vue de la place Saint-Marc vers la tour de l’horloge, charmante et aérée, a atteint 1,6 million de francs.

Mais la provenance n’est pas tout. Des trente-trois œuvres d’art contemporain ayant appartenu au collectionneur éclairé René de Montaigu, récemment décédé, dispersées le 13 juin à l’Hôtel George V par Me Tajan, vingt-six ont trouvé acquéreur. Produit de la vente : 3 882 000 francs, contre une estimation d’entre 6 et 8 millions de francs.

Corsets roses pour les musées nationaux
Les héros de l’art moderne et contemporain français sont fatigués. Mais Rythme et Tour, vers 1936, de Robert Delaunay, estimé entre 3 et 5 millions de francs, est resté invendu à 1 100 000 francs. Coupe de violoncelle sur panneau de bois, 1962, d’Arman, estimé avec optimisme entre 400 000 et 500 000 francs, a été acquis pour seulement 180 000 francs. Orbes et désorbes, 1961, une accumulation de ressorts du même artiste est également parti en dessous de son estimation, à 200 000 francs.

Le Massacre de la Saint Barthélémy, toile célè­bre de Georges Ma­thieu, estimée entre 600 000 et 800 000 francs, est restée invendue à 380 000 francs. Par­mi les rares succès de la soirée, Corsets roses ou Chiffons de la Châtre, une accumulation de corsets et dentelles sur toile de Gérard Deschamps, estimée entre 50 000 et 60 000 francs, a été préemptée à 140 000 par les Musées nationaux. Et un "tableau sculpture" de Daniel Spoerri, Détrompe l’œil-Forêt vierge.

La jungle ou Hommage au Douanier Rousseau, estimé entre 80 000 et 100 000 francs, a suscité l’enthousiasme d’un amateur qui a poussé les enchères jusqu’à 240 000 francs.

Un peu moins de la moitié (50 sur 108) des autres tableaux XIXe et XXe siècles de la vente ont été vendus. Juive de Tanger en costume d’apparat, 1835, de Delacroix, a été adjugée 2,8 millions de francs et Femme couchée dans l’herbe, 1908, l’un des douze Renoir de la vente, est partie pour 3,4 millions de francs.

L’œuvre maîtresse des Lumières
Me Tajan n’était pas le seul à souffrir de la frilosité du marché. Le 14 juin, Me Jean-Louis Picard n’a réussi à vendre que 7 des 33 tableaux anciens qu’il présentait, dans une vacation de mobilier ancien qui a plutôt bien marché. Le 12 juin, 31 des tableaux et sculptures modernes et contemporains sur les 79 proposés à la vente par Me Marc-Arthur Kohn sont partis. À nouveau, seule la qualité a payé.

Estimés prudemment, deux beaux bronzes de Degas édités par Hebrard, Cheval en marche (300 000 à 400 000 francs) et Cheval au galop (600 000 à 800 000 francs), se sont bien défendus à 335 000 et 692 000 francs. Tête d’homme barbu de Picasso, un dessin aux crayons de couleur sur papier, daté 23.5.64, éclatant de vie, a été adjugé 888 000 francs.

Le 12 juin, Me Jean-Louis Picard a dispersé une très belle collection d’importants livres illustrés XVIIIe siècle. Sur 126 ouvrages, 90 ont été vendus, dont l’édition originale de l’œuvre maîtresse des Lumières, L’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et d’Alambert, adjugée 162 000 francs.

Avec sa vente des 31 mai et 1er juin, le même commissaire-priseur a enregistré un taux de vendus qui frôle l’insolence en trouvant des acheteurs pour 96,51 % – en termes de valeur – du mobilier d’une demeure médiévale, soit 5 218 260 francs. Parmi près de 400 lots de tableaux, objets et mobilier, se trouvait un tableau inédit du peintre anversois du XVIIe siècle Gillis Peeters, sur panneau de chêne : Vue panoramique de Recife, à Per­nam­buco, avec la flotte hollandaise a été adjugée 1,25 millions de francs. Une tapisserie Feuilles de choux de la seconde moitié du XVIe siècle a trouvé preneur à 250 000 francs, et un mobilier de salon génois, fin XVIIe siècle, est parti pour 100 000 francs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°16 du 1 juillet 1995, avec le titre suivant : Paris : sombres tableaux

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