Photographie - Ventes aux enchères

Paris confirme sa place pour la photographie

Les ventes Jammes et Viollet-le-Duc ont réalisé de bons résultats sans pour autant atteindre des sommets

Par Valentine Buvat · Le Journal des Arts

Le 5 avril 2002 - 1848 mots

La très célèbre collection de Marie-Thérèse et André Jammes a fini d’être dispersée les 21 et 22 mars à Paris par Sotheby’s. Totalisant plus de 11,6 millions d’euros, la vacation a été plébiscitée par une salle comble qui comptait les principaux marchands américains. L’État a plusieurs fois usé de son droit de préemption, abusé diront certains, soulignant par là même l’importance des œuvres proposées. Une semaine importante pour les collections nationales qui s’étaient déjà enrichies le 19 mars lors de la vente de la collection Viollet-le-Duc.

PARIS - Réunie au XIXe siècle directement auprès des photographes, la collection d’Eugène Viollet-le-Duc synthétisait toutes les qualités d’un ensemble original. Elle comptait parmi ses pièces les plus grands noms des “Primitifs”, comme Le Gray, Mestral, Le Secq ou encore Marville ; la plupart des épreuves s’harmonisaient autour d’un thème central : l’architecture. Il est certain que la renommée d’un tel collectionneur est un facteur supplémentaire de plus-value pour les œuvres. Toutes les conditions étaient donc réunies pour assurer une importante vacation... Si l’on exclut toutefois la concurrence, particulièrement rude cette semaine-là : deux jours plus tard était proposée la seconde partie de la collection des libraires Marie-Thérèse et André Jammes. L’événement qui a attiré à Paris les plus grands collectionneurs internationaux a pu être profitable à la vente de Drouot, organisée par PIASA, même s’il en a certainement occulté la fortune critique. Qu’importe, la collection Viollet-le-Duc a été dispersée devant une salle comble, plusieurs pièces ont été préemptées, et d’autres achetées par des institutions. L’expert, Marc Pagneux, affiche sa satisfaction : “Pour une vente parisienne de 100 lots, un total de 430 000 euros est un très bon produit. Je crois que la vente de la collection Jammes aurait été un obstacle si nous avions eu plus de pièces. Mais comme nous avions un petit catalogue composé d’épreuves de belle qualité, la vacation était d’un niveau intéressant pour les grands collectionneurs, sans être en concurrence avec la vente de Sotheby’s.” Même s’il s’agit là d’une belle vente de photographies anciennes, elle ne peut pas être comparée au “géant Jammes”. Un public nombreux était présent à Drouot, saluant la composition de la vente, puisque 88 % des lots ont trouvé preneur. De nombreuses pièces ont été préemptées par différentes administrations : la Ville de Carcassonne s’est manifestée à quatre reprises notamment pour l’achat de deux épreuves représentant la Cité, réalisées par Le Gray et Mestral durant la Mission héliographique ; la direction de l’Architecture et du Patrimoine a préempté deux tirages de Marville représentant Le Baptême du prince impérial, ainsi qu’une Vue de la cathédrale d’Amiens et les célèbres Arcs-Boutants de Le Secq. La Ville de Paris a également usé de son droit de préemption pour deux images de Marville : Le Baptême du prince impérial et L’Intérieur de Notre-Dame décoré pour le mariage de Napoléon III et Eugénie, tandis que le Musée des monuments français a acheté directement treize épreuves. Les choix de la Ville de Carcassonne ont agréablement surpris Marc Pagneux : “L’acquisition des photographies de Le Gray et Mestral est la preuve d’une démarche nouvelle de la part d’une collectivité. Le simple intérêt documentaire, qui peut facilement être satisfait à moindre coût, est dépassé par une véritable attention à l’œuvre d’art.” Les œuvres des Frères Bisson, de Charles Marville, d’Henri Le Secq ont rencontré le succès escompté, étant adjugées dans la fourchette haute de leurs estimations. Parmi les pièces les plus attendues, on trouvait des épreuves du mystérieux ami de Le Gray, Mestral, dont une photographie, Saint Denis, sculpture par Geoffroy de Chaume, a établi le record mondial pour une œuvre de l’artiste (15 000 euros). Vue générale des remparts de Carcassonne prise de l’ouest, de Gustave Le Gray, adjugée 45 000 euros à la marchande américaine Lee Marks, est l’épreuve la plus chère de la vente PIASA.

Dix-sept préemptions de l’État
De son côté, la collection Jammes comptait presque 600 lots, nécessitant deux journées pleines de vente. La partie plurielle de la collection était proposée le premier jour et comprenait la fameuse image de Niépce, premier document photographique au monde. Le lot, également constitué d’une partie de la correspondance du scientifique, avait reçu la mention “trésor national”, et n’avait bien entendu pas l’autorisation de quitter le territoire français. Les possibilités d’enchères étaient donc considérablement réduites pour cette œuvre qui a été préemptée par la Bibliothèque nationale de France, 450 000 euros sous le marteau. Baldus, Regnault et Marville ont particulièrement séduit le public, les œuvres ayant parfois décuplé leurs estimations. La Façade d’un hôtel particulier parisien, réalisée en 1851 par Baldus, a été adjugée 300 000 euros au téléphone, et les œuvres de Victor Regnault ont toutes rencontré le succès qu’espérait Philippe Garner : 250 000 euros pour Bords de la Seine à Sèvres, adjugée au marchand new-yorkais Hans Kraus Jr, tout comme Sèvres et ses environs (55 000 euros), ou encore 230 000 euros pour Sèvres et ses environs, la porte orientale, soit plus du quintuple de son estimation haute. L’album de quarante études, réalisé par un anonyme proche du sculpteur Simart, n’avait pas reçu d’autorisation de sortie du territoire et a été adjugé 300 000 euros (légèrement en dessous de son estimation basse) sans toutefois être préempté par l’État qui devra faire une proposition de rachat au nouveau propriétaire dans les trente mois à venir. L’Album de l’ancien Paris de Charles Marville, également très attendu, a été vendu 400 000 euros. Parmi les images consacrées au voyage, Deux vues de Tahiti, réalisées par Gustave Viaud en 1859, ont été adjugées 28 000 euros, tandis que l’Album de Madagascar de Désiré Charnay trouvait acquéreur pour 140 000 euros au téléphone. Les photographies de Degas ont également séduit l’assemblée, puisque le portrait de groupe, avec Blanche et Taschereau, a été vendu 210 000 euros, pendant que l’autoportrait dans sa bibliothèque était adjugé 18 000 euros pour une estimation de 2 000 à 3 500 euros. Les nombreuses photogravures de Laure Albin-Guillot ont remporté un important succès, démesuré pour cette technique si l’on en croit les marchands parisiens, mais qui ont ravi André Jammes, particulièrement attaché à cette méthode de reproduction d’images. Parmi les très belles images de Germaine Krull, deux études de la tour Eiffel ont été vendues 19 000 euros, les huit vues prises sur la route ont atteint 44 000 euros, tandis que Marseille, vue prise du haut du pont transbordeur a été préemptée par le Musée national d’art moderne (Mnam) à 24 000 euros. La première journée de vente s’est achevée sur un album de Doisneau, Les Bistrots de Paris et autres scènes de la vie parisienne, envolé à 65 000 euros.

La grande majorité des enchérisseurs présents dans la salle étaient d’origine américaine et ont pu mener la vente à des sommets parfois inattendus, qui semblent bien loin des réalités du marché français. “J’avais l’impression d’être dans la salle de Sotheby’s New York, nous confie Viviane Esders, expert en photographie d’art près la cour d’appel de Paris. Les marchands américains étaient à la même place, près de leurs amis... Tout ce petit monde avait juste déménagé.” Toutefois, étant donné les prix atteints pendant ces deux journées, on peine à croire que de retour aux États-Unis, ils pourront revendre les œuvres achetées avec la plus-value qu’ils appliquent d’ordinaire. “Il faut savoir que les marchands américains achètent souvent pour des institutions ou des collectionneurs. Ils se déplacent, viennent voir les œuvres, conseillent et prennent une commission sur un éventuel achat. Ce genre de pratique n’est pas du tout coutumier en France.”

Viviane Esders était particulièrement concernée par la seconde journée de vente, consacrée à la dispersion d’atelier du fonds Charles Nègre, puisqu’elle a été la première à expertiser l’ensemble, en avril 2001.

Rappelons qu’André Jammes avait proposé, il y a sept ans, l’ensemble du fonds Charles Nègre aux musées français pour 15 millions de francs (environ 2,5 millions d’euros). Si la somme avait alors parue trop importante , elle semblait tout à fait raisonnable il y a un an, André Jammes ayant maintenu son offre sans la modifier pendant ces sept années. Devant le refus des institutions, qui ont acheté durant la vente 17 photographies de Charles Nègre pour un total de 1,4 million d’euros frais inclus, le collectionneur a proposé l’ensemble à la banque ABN-Amro : un autre moyen de conserver l’intégralité du fonds dans de bonnes conditions. Le montant total de l’estimation faite à cette occasion par Viviane Esders avoisinait 4,5 millions d’euros, soit la même somme que l’expertise faite par Sotheby’s, même si des différences sensibles se faisaient sentir d’une pièce à l’autre. La banque n’ayant pas donné suite à cette proposition de rachat, le fonds Nègre a été confié à la maison Sotheby’s qui a clairement manifesté son désintérêt pour la première expertise effectuée, mettant un terme définitif à tout espoir de collaboration entre les grandes maisons anglo-saxonnes et les experts français.

Le fonds Charles Nègre a totalisé près de 6,3 millions d’euros pour près de 90 % de lots vendus. L’œuvre la plus attendue de cette vente a également été la plus chère, Le Stryge, interdit de sortie du territoire. Il a été adjugé 280 000 euros et préempté par la Bibliothèque nationale de France. Parmi les adjudications les plus importantes, Le Petit Chiffonnier appuyé contre une borne, a été acheté 137 000 euros frais inclus par le Musée de Tel-Aviv ; le premier lot de la journée, Modèle nu couché avec une chemise, a été adjugé 81 000 euros à Alexander Novak, ou encore une épreuve de format exceptionnel d’une Vue du pavillon de l’Horloge, achetée 110 000 euros frais inclus par Hans Kraus Jr, désormais également propriétaire de Nature morte, tableau de chasse, estimé 20-30 000 euros et adjugé 130 000 euros. Encore une fois, les enchères étaient largement dominées par les acheteurs étrangers, et plus particulièrement américains. L’État français a exercé son droit de préemption à 17 reprises pour le Musée d’Orsay, la Bibliothèque nationale de France, le Musée Carnavalet, la direction de l’Architecture et du Patrimoine et le Musée d’art et d’histoire de Grasse. La majorité des œuvres qui n’avaient pas reçu d’autorisation de sortie sont ainsi entrées dans les collections nationales, à l’exception Des ramoneurs en marche et du Joueur d’orgue de Barbarie qui ont été retirés de la vente faute d’avoir atteint leur prix de réserve. La principale interrogation concerne Le Citronnier, interdit de sortie et adjugé 15 000 euros (son estimation basse) à un marchand américain qui devait, comme chacun dans la salle, penser que la pièce ferait l’objet d’une préemption... Cela n’a pas été le cas, et certains maugréent sur l’inconséquence de l’État dans de telles situations.

Parmi le public se trouvait l’arrière-petit-neveu de Charles Nègre, Dominique, dont le père avait cédé à André Jammes le fonds d’atelier du photographe. Il espérait pouvoir racheter certaines pièces qui lui tenaient particulièrement à cœur, mais s’est trouvé rapidement dépassé par le niveau des enchères. “Bien plus que la gêne financière, qui ne nous préoccupe pas, c’est la dispersion de l’intégrité de la collection qui nous attriste le plus”, a-t-il conclut, une fois la vente terminée.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°146 du 5 avril 2002, avec le titre suivant : Paris confirme sa place pour la photographie

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