Droit - Exposition

Mouvements

Où vont nos biens culturels ?

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 31 mars 2006 - 1732 mots

Une étude du Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture montre que nos échanges d’œuvres concernent essentiellement la peinture.

Après son article paru dans le JdA no 233 (17 mars 2006), Jean-Marie Schmitt poursuit cette quinzaine son commentaire de l’étude du Département des études, de la prospective et des statistiques (DEP)/ministère de la Culture sur les échanges de biens culturels entre la France et l’étranger réalisée pour l’Observatoire des mouvements internationaux d’œuvres d’art (OMIA).

Cette étude montre, sans surprise, que les grands consommateurs internationaux d’œuvres d’art restent les mêmes. Les analyses du DEP permettent cependant d’affiner la rétrospective des douze dernières années.

Un triplement des exportations et des importations définitives
Les échanges avec les États-Unis progressent nettement puisqu’ils ont triplé sur la période 1993-2004.
« Les mouvements avec les États-Unis se caractérisent donc par leur progression significative, en particulier pour la peinture et les antiquités jusqu’en 2000-2001 – et 2002 pour la statuaire. Au-delà de ce trait commun, les deux premières catégories font une place très différente aux mouvements les plus importants (au-dessus des seuils) et aux exportations définitives suite à exportation temporaire. »
Il est notable que les importations aient progressé très régulièrement, et de façon moins heurtée que les exportations. Le mouvement des importations, moins sujet aux surchauffes spéculatives, pourrait être l’indice d’un mouvement durable de retour du patrimoine vers l’Europe.
L’analyse pourrait donner du crédit à la protestation récurrente des professionnels à propos de la TVA à l’importation. Du moins conduire l’administration fiscale à une interprétation plus audacieuse des textes communautaires. Par exemple en prenant en compte dans la catégorie des objets de collection bénéficiant du taux réduit à l’importation les meubles et pièces décoratives des périodes Art déco, les productions du design 1950-1960-1970… Une réflexion sans doute négligée tant qu’il n’apparaissait pas de façon évidente qu’il y a un réel retour du patrimoine vers l’Europe dans certaines spécialités.

Les sélects Suisses
« Une progression limitée et hésitante des exportations et importations définitives. Les exportations définitives progressent de manière limitée (moins de 50 %) sur la période, avec d’abord des hausses et des baisses de court terme autour d’une tendance à la stabilité jusqu’en 1998. La progression qui intervient ensuite conduit à un nouveau palier depuis 2001, autour de 150-160 millions d’euros. Cette évolution globale est pour une large part celle des exportations de peinture – dessins, poste majoritaire, à l’exception de la progression depuis 2000 imputable au réveil des antiquités puis de la statuaire.
Les exportations de statuaire sortent en effet de leur stagnation à partir de 2001. Les importations définitives connaissent d’abord (jusqu’en 1998) une évolution similaire à celle des exportations définitives. Une tendance à une progression modérée se manifeste ensuite […].
Les mouvements avec la Suisse connaissent donc une progression beaucoup plus limitée que vers les États-Unis. Les principales catégories (peinture, antiquités et statuaire) voient les variations respectives de leurs exportations définitives dépendre largement des mouvements définitifs au-dessus des seuils comme s’il existait, par ailleurs, un volume relativement constant de mouvements au-dessous du seuil. Les mouvements au-dessus des seuils pour vente éventuelle s’avèrent d’importance limitée dans la dynamique des échanges. »

De cette constatation, on pourrait déduire que les Suisses seraient plus sélectifs que les Américains par rapport aux biens culturels venant de France. Une observation statistique qui confirmerait l’opinion commune concernant les collectionneurs helvétiques : connaisseurs et riches, donc exigeants.

Les Japonais atypiques
« Les exportations définitives vers le Japon connaissent un mouvement atypique de baisse pratiquement ininterrompu, à l’exception des hausses ponctuelles de 1997 et surtout de 2000. Cette évolution est celle de la peinture, poste très majoritaire. Les importations définitives, d’abord très faibles, se redressent ensuite au début des années 2000 avec un pic en 2001 […].
D’une manière là encore très atypique par rapport aux États-Unis et à la Suisse, les mouvements de fort montant (au-dessus du seuil) sur la peinture constituent une part significative des exportations définitives quand celles-ci sont relativement élevées comme en 1997 et 2000 […].
La valeur des licences pour vente éventuelle n’est significative qu’en 1997, année du premier rebond des exportations définitives, et quasi nulle sur l’ensemble de la période. Les ventes définitives au-dessus des seuils se font donc sans mouvement éventuel préalable en 2000 et 2003. Quant aux exportations suite à exportation temporaire, elles restent d’un montant faible par rapport aux exportations définitives dont elles n’expliquent aucunement les variations. Il en va de même pour les importations définitives suite à admission temporaire, faibles comme les importations définitives totales. »

Le Japon illustre la relation avérée entre l’effet richesse et l’appétit de biens culturels. La période a été marquée par une dépression économique de très longue durée après l’éclatement des bulles immobilières et financières. Les chiffres des opérations temporaires démontrent sans doute aussi que le Japon n’est pas un pays auquel on vend, mais plutôt un pays dont on se contente d’attendre les acheteurs. Et aussi – sans doute consécutivement – un État auquel on ne présente que des pièces coûteuses.
Il aurait été intéressant d’examiner les évolutions des exportations temporaires sans possibilité de vente. Une manière d’analyser la relation entre les opérations du commerce, atones sur l’ensemble de la période, et les opérations temporaires en vue d’expositions.

Europe : les Anglais d’abord
L’étude du DEP rappelle que « les mouvements intra-communautaires vers les pays de l’Union européenne ne peuvent être saisis qu’au travers des exportations et importations définitives, la procédure des licences d’exportation ne s’appliquant qu’aux pays tiers », de sorte que les montants des opérations recensées sont très faibles et qu’une extrapolation statistique est aventureuse.
Des chiffres, le DEP tire cependant un classement typologique des échanges communautaires de la France : « Le Royaume-Uni apparaît en 2004 ainsi qu’à plus long terme comme le partenaire prééminent pour la peinture et les antiquités. Pour ces catégories, il est accompagné, mais loin derrière, par la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas […]. Pour la statuaire, les principaux partenaires sont la Belgique puis le Royaume-Uni et l’Italie, loin devant l’Allemagne, l’Espagne et les Pays-Bas […]. Enfin, pour la gravure on note le poids de l’Allemagne et de l’Espagne ainsi que des Pays-Bas essentiellement pour les exportations. »
L’analyse des exportations définitives par destinations démontre sans surprise que le Royaume-Uni est de loin le premier partenaire de la France.
Le tableau illustre la très large prééminence anglaise (ligne exportations définitives Royaume-Uni).
« Les mouvements vers le Royaume-Uni […] représentent la moitié des mouvements vers l’Union européenne. »
« Les mouvements en provenance du Royaume-Uni […] sont nettement plus faibles que les exportations – entre le tiers et la moitié […] des importations en provenance de l’Union européenne. »


Au bout des comptes
Des conclusions générales de l’étude du DEP, on retiendra ces raccourcis significatifs :
- « Le triplement des exportations définitives vers les États-Unis contraste avec la progression beaucoup plus limitée vers la Suisse (et l’Union européenne). »
- « Un autre point commun est le poids prépondérant de la peinture, qui est majoritaire vers les États-Unis et la Suisse et quasiment exclusive vers le Japon. Le poids des mouvements les plus importants (au-dessus des seuils) varie par contre beaucoup d’une destination à l’autre mais, qu’ils soient minoritaires comme vers les États-Unis, croissants comme vers la Suisse ou hégémoniques comme vers le Japon, ils sont toujours largement responsables des variations des exportations définitives. »
- « A contrario, les mouvements au-dessous des seuils paraissent plutôt stables dans le temps. Enfin, vers les États-Unis comme vers la Suisse, les exportations à la suite d’exportations temporaires restent minoritaires sauf pour les exportations de peinture vers les États-Unis. »
De ces agrégats statistiques, le DEP tire plusieurs conclusions :
« […] l’existence d’une conjoncture commune à l’ensemble des catégories peut laisser entendre que l’unité du marché de l’art a une certaine réalité, si l’on veut bien la considérer non comme l’unicité d’un marché mais comme l’interdépendance de plusieurs sous-marchés sectoriels soumis à une conjoncture commune mais développant également des spécificités propres. »
Cette observation du DEP constitue une invitation à la segmentation, préalable nécessaire à toute action marketing efficace.
« […] quant au poids des mouvements les plus importants, portant souvent sur de grandes œuvres, dans les échanges hors UE, la comparaison des montants des licences pour vente définitive par rapport aux exportations définitives indique que ce poids, variable d’une catégorie à l’autre, tend à plafonner, voire à régresser comme pour la statuaire. Comme on pouvait s’y attendre, ces mouvements sont cependant déterminants pour expliquer les variations de court terme des échanges. Il s’ensuit que les échanges de moindre valeur (en dessous des seuils) constituent un volume à la fois plutôt stable et plutôt croissant. Faut-il considérer que ces marchés possèdent une structure duale ? »
On prendra comme une bonne nouvelle le fait que les marchés ne se contentent pas d’absorber les « bijoux de famille ».
« […] à la question du rôle que jouent les échanges temporaires, on peut considérer globalement qu’il est faible dans la mesure où les échanges définitifs à la suite d’échanges temporaires ne représentent qu’une minorité des échanges définitifs totaux. »
Le rôle modeste des opérations temporaires peut être significatif d’une économie d’échanges peu professionnalisée dont il est souhaitable de s’extraire.
En quelque sorte, nos horizons d’échanges sont les États-Unis, la peinture et, loin derrière : le reste. De ce point de vue, les échanges de la France sont ceux d’un État pétrolier vivant de ses rentes, avec l’appréhension d’un tarissement des réserves.
En revanche, on pourrait élargir un peu ces horizons en proposant de s’intéresser aux restes (acheteurs et/ou biens culturels) ; c’est peut-être là que le professionnalisme pourrait payer.
L’ultime conclusion de l’étude du DEP – en forme de vœu – appelle à approfondir pour « mieux suivre une conjoncture qui se fait moins commune et plus imprévisible et comprendre la signification réelle des mouvements » ; et, pour ce faire, les données statistiques doivent être « complétées mais aussi [être] confortées par une mise en regard de l’appréciation des acteurs professionnels du marché de l’art ». CQFD. Du pain sur la planche pour l’Observatoire et les opérateurs du marché.

Les informations et tableaux repris ci-dessus sont extraits du document établi par le DEP : « Analyse statistique des évolutions 1993-2004 (no 12, sept. 2005) ». L’intégrale de cette étude est disponible et téléchargeable sur le site du ministère de la Culture : www.culture.gouv.fr/dep/telechrg/stat/nstat12.pdf

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : Où vont nos biens culturels ?

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