Collectionneurs

À Noël (s’)offrir un multiple…

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 21 novembre 2019 - 1002 mots

Se faire plaisir ou faire plaisir avec l’art, sans pour autant se ruiner, c’est possible en visant des œuvres, estampes, livres, sculptures, bijoux… réalisés par des artistes en plusieurs exemplaires. Une idée cadeau originale à l’approche des fêtes.

À en croire les organisateurs de la foire Mad – pour Multiple Art Days –, 80 % des œuvres d’art les plus innovantes ne sont visibles ni dans les galeries, ni dans les musées : ceux-ci font allusion aux « multiples », trop peu chers pour intéresser les premières, pas assez « originales » pour séduire les secondes. « Pourtant depuis Dürer et la gravure sur bois au Moyen Âge, les plus grands artistes ont toujours souhaité réaliser des multiples, sous forme d’estampes, de gravures, de tirages digitaux, mais aussi sous forme de livres d’artistes ou d’objets, reproduits en nombre limité », remarque Sylvie Boulanger, directrice du Centre national édition art image (Cneai) et directrice artistique de Mad.

Pour une poignée d’euros

Alors, si l’on offrait un multiple à Noël ? « Il y a d’excellentes raisons à cela. Contrairement à une idée reçue, un multiple est une œuvre originale, numérotée par l’artiste. Car l’originalité ne dépend pas de l’unicité. Ni esthétiquement, ni légalement. C’est une création à part entière, voilà pourquoi l’artiste la revendique comme partie intégrante de son œuvre », explique Gilles Drouault, à la tête de GDM, rare galerie spécialisée à Paris. Et les artistes aiment les multiples qui leur permettent de diffuser plus largement leurs créations. « La production de plusieurs œuvres diminue les frais de chaque exemplaire et permet un prix de vente moindre. L’accessibilité, c’est le sens de notre travail : un multiple correspond à moins de 10 % du prix d’une œuvre unique du même artiste ; et la différence est le plus souvent beaucoup plus importante encore », précise Gilles Drouault. Dans sa galerie, ce dernier propose la « Collection 100 % : 100 artistes, 100 exemplaires, 100 euros ». C’est donc le prix à payer pour It’s Strictly Forbidden to Walk during the Night ! de Regine Kolle, une impression pigmentaire. En investissant un peu plus, on peut acquérir, de la même artiste, une sérigraphie en 13 couleurs, Nurse in Love, tirée à 25 exemplaires (600 euros), une céramique émaillée Costume pour un spectacle d’Antoine Marquis (500 euros) ou encore une peinture à l’huile sur coquille d’huître Dinosaure de Rafaela Lopez (500 euros).

Fondatrice d’une maison d’édition indépendante, Michèle Didier expose ses protégés à l’espace mfc-michèle didier dans le Marais, avec des pièces signées ou simplement numérotées. Ainsi le book board The Hysterical Herstory of Hysteria and How it Was Cured from Ancient Times Until Now de Guerrilla Girls, limité à 500 exemplaires et 500 épreuves d’artiste, est à 35 euros. Le Journal de Mathieu Mercier (130 exemplaires et 20 épreuves d’artiste) est, lui, à 200 euros. « Le livre d’artiste ne constitue pas un art mineur, au contraire, il est bien souvent une matrice qui permet à l’artiste de conceptualiser une œuvre à venir. Cela permet d’acquérir à un prix plus bas mais pas seulement », relève Michèle Didier.

Il arrive fréquemment que la production d’un multiple soit l’occasion pour l’artiste d’expérimenter un matériau : le multiple devient alors une œuvre rare dans sa démarche. « Ce fut le cas pour Xavier Veilhan qui produisit avec nous une céramique pour la première fois, pour Bruno Peinado qui expérimenta le travail du verre, pour Neil Beloufa qui utilisa la sérigraphie afin de produire une série d’impressions uniques », analyse encore Gilles Drouault. « Parfois, le multiple est la seule possibilité d’approcher un artiste, soit parce qu’aucune de ses œuvres n’est sur le marché, soit parce que les prix pratiqués les réservent à un nombre restreint de collectionneurs », poursuit le galeriste.

La France en retard

Si un multiple n’est pas toujours si bon marché – chacun des 500 exemplaires limités de One Million Years signés On Kawara sont à 3 000 euros chez mfc-michèle didier en raison de leur coût de production élevé –, il serait grandement temps de l’évaluer autrement qu’à l’aune de son seul prix, considère Michèle Didier. « Il faut cesser de considérer l’édition comme parent pauvre de l’art en l’opposant aux prix faramineux de quelques artistes contemporains », souligne-t-elle. La France est en retard dans sa reconnaissance des multiples. Aux États-Unis, les marchands spécialisés sont nombreux ; l’estampe, associée aux grands artistes du pop art, y est un symbole de modernité. En Angleterre, la Tate Modern est en train de se constituer une collection remarquable d’œuvres multiples. Mais les choses changent depuis quelques années, à l’instar de la galerie des Galeries au sein des Galeries Lafayette qui a programmé l’exposition « Idées Multiples », et des vacations de maisons de ventes comme Artcurial ou Piasa.

Michel-Édouard Leclerc a créé MEL Publisher pour démocratiser les estampes d’artistes contemporains reconnus sur la scène internationale. Comptez 300 euros pour Jacques de Loustal, 400 euros pour Nicolas de Crécy, 600 euros pour Olivier Masmonteil, 700 euros pour Françoise Pétrovitch, 900 euros pour Barthélémy Toguo… Les œuvres, tirées généralement à 35 exemplaires, sont produites dans des ateliers historiques : Clot, Bramsen & Georges, Jérôme Arcay, etc. Le site Wedonotworkalone.fr propose, lui, une gamme d’objets d’artistes très variés : plateau en mélamine de Sarah Tritz produit à 200 exemplaires pour 50 euros, assiette en faïence de Matthieu Cossé peinte à la main à Deruta en Italie et réalisée en 100 exemplaires pour 100 euros, jeu de domino d’Emmanuel Van der Meulen composé de 28 pièces en bois fabriquées à 50 exemplaires dans le Jura et sérigraphiées à Paris, pour 150 euros… « Offrir un multiple, c’est permettre à un ami, à un amour, à un parent, de vivre au quotidien avec une œuvre, l’intimité avec l’art pouvant susciter une passion », se réjouit Gilles Drouault. Alors autant commencer tôt. Semiose éditions sollicite des artistes tels Richard Jackson, Sylvie Fanchon, Oli Epp et Ramuntcho Matta, pour créer des coloriages pour enfants. Avec le Centre Pompidou, il a édité le beau livre Imagine le cerveau d’une fourmi de Françoise Pétrovitch à l’occasion de l’exposition « Passer à travers » à la galerie des enfants jusqu’au 24 février 2020.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°729 du 1 décembre 2019, avec le titre suivant : À Noël (s’)offrir un multiple…

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