Galerie

Nahon, Trigano, Durand-Dessert, les marchands à l’encan

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 septembre 2005 - 818 mots

Entre le goût pour les nouveaux réalistes d’un Pierre Nahon, la promotion des incunables de Pierre Berès ou le dada d’un Bernard Blondeel pour les tapisseries, difficile de déceler un liant, si ce n’est marchand. Pourtant, ces personnalités hétérogènes ont en commun d’avoir livré une partie de leur « collection » en vente publique.

Les marchands comptent parmi les plus grands collectionneurs comme en témoigne le magnifique ensemble réuni par le galeriste suisse Ernst Beyeler dans sa fondation à Riehen. On peut d’ailleurs regretter qu’hormis un timide hommage à Denise René au Centre Pompidou ou l’exposition « L’Art au futur antérieur » au musée de Grenoble, les institutions aient rarement salué le regard visionnaire des galeristes. « Derrière chaque marchand, il y a un collectionneur acharné, remarque Grégoire Billault, spécialiste de Sotheby’s. Il n’y a d’ailleurs pas d’écart monumental entre une collection de marchand et celle d’un amateur. Sauf peut-être qu’une certaine ligne y est maintenue. » Une ligne préservée parfois au fil des invendus qui, par le jeu du balancier, reviennent au goût du jour. André et Henriette Gomès, dont la collection fut dispersée par Francis Briest en 1997, avaient ainsi défendu un Balthus figuratif alors que l’art abstrait imposait ses lois. De même, les époux Bourdon s’étaient entichés de fauvisme dans les années 1950, alors que ce mouvement avait sombré dans l’oubli. Michel et Liliane
Durand-Dessert, dont Sotheby’s cède une partie de la collection le 6 octobre, tireront sans doute
les fruits de leur soutien précoce et courageux à l’Arte Povera.

Des collectionneurs acharnés
Les ventes de marchands sont monnaies courantes, au gré des déménagements, revers de fortune ou cessations d’activité. Leur succès varie selon qu’il s’agisse d’une collection distincte du stock ou d’un déstockage. Les ventes de stock ne sont d’ailleurs porteuses que lorsque le marchand a cessé depuis longtemps toute activité. D’où les résultats mitigés de la vente du stock d’Yves Mikaeloff en 1996 chez Christie’s puisque 95 % des pièces avaient déjà sillonné les salles de ventes. La mise fut sauve grâce à des estimations raisonnables. La ligne de démarcation entre stock et collection est toutefois poreuse. « J’ai veillé à ce qu’il y ait une frontière étanche entre ma galerie et ma collection. Ma stratégie de collection était d’accumuler des pièces qui ont une connotation alchimique. Lorsque l’artiste part du presque rien pour faire un miracle », indiquait le galeriste Patrice Trigano avant sa vente chez Christie’s le 5 juillet. Les sculptures en extérieurs figurant au catalogue avaient toutefois été acquises auprès de sa propre galerie.

Vente ou déstockage ?
La vente des Durand-Dessert représente 40 % de leur collection. Mais entre le stock et la collection, on a pu observer quelques allers-retours. La Decapitazione della sculptura de Pino Pascali (700 000-900 000 euros, ill. 2) avait ainsi figuré dans l’inventaire de la galerie. Vendue à un collectionneur au Japon, elle a été rachetée par le couple au marchand Hans Mayer en 1999 à la Foire de Bâle. Les sculptures de Barry Flanagan proviennent de l’exposition organisée par le couple dans leur galerie. En revanche, la Colomba (ill. 1) de Garouste avait été exposée chez Leo Castelli à New York, acquise par la galerie C&M dans les années 1980, puis rachetée par les Durand-Dessert et conservée depuis dans leur collection.

Le charisme du galeriste
La réussite d’une dispersion de marchand repose sur l’absence de prix de réserve, chose inhabituelle, tant les marchands veulent retrouver leurs billes. La vente Cavalero chez Calmels-Cohen en juin 2002 faisait figure de fond de tiroir, malgré un catalogue très inventif. Mais l’absence de prix de réserve a vaincu les réticences. De même, Patrice Trigano a eu le bon goût de ne pas exiger de prix de réserve, ce qui a pu faciliter la vente de certains lots comme les objets archéologiques. Car la madeleine de Proust d’un marchand n’a pas forcément la même saveur au goût des autres ! Les résultats sont restés dans les clous des prévisions avec un total de 5,8 millions d’euros pour une sélection qu’on peut, au choix, qualifier d’éclectique ou de fourre-tout. Le succès dépend enfin de l’aura du marchand et de son engagement dans l’opération de promotion de la vente. Les bons résultats de la vente d’Axel Vervoordt chez Christie’s l’an dernier sont redevables pour une part au charisme très zen de l’antiquaire-décorateur. La vacation fleuve a ainsi engrangé 5,9 millions d’euros sur une estimation de 3 millions. Sotheby’s New York, quant à elle, organise en janvier 2006 une vente de tableaux anciens baptisée L’Œil du marchand regroupant des œuvres mises en consignation par de grands noms comme Robert Noortman ou Johnny Van Haeften.
Ces ventes sont surtout symptomatiques d’une nouvelle donnée du marché : par une cruelle ironie,
les marchands ne vendent jamais mieux que lorsqu’ils mettent les pièces à l’encan...

Collection Liliane et Michel Durand-Dessert, vente le 6 octobre, Sotheby’s, Paris, tél. 01 53 05 53 05. Documentation et fonds Berès, vente les 28 octobre et 16 décembre, Drouot Richelieu, tél. 01 49 49 90 00 (Bergé et Associés).

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°572 du 1 septembre 2005, avec le titre suivant : Nahon, Trigano, Durand-Dessert, les marchands à l’encan

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