Nadine de Rothschild, une ingénue qu’il affectionnait peindre

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 1 juillet 2006 - 937 mots

Starlette des années 1950, auteure de manuels sur le savoir-vivre, épouse du collectionneur Edmond de Rothschild, Nadine de Rothschild a été l’un des modèles de Domergue. Témoignage...

 Vous n’aviez pas encore dix-sept ans que vous étiez déjà modèle pour Domergue, comment s’est passée cette rencontre ?
Nadine de Rothschild : Je travaillais dans un magasin de laine et l’une des vendeuses avait découpé une annonce dans un journal : un peintre cherchait des modèles. Je l’ai accompagnée. Je ne savais pas que Jean-Gabriel Domergue était un artiste mondain très coté.
En fait, c’est moi qu’il a choisie car j’incarnais ces ingénues qu’il aimait peindre, ces filles rousses, avec le nez mutin, les yeux fendus, le joli buste et la taille étranglée.

Possédez-vous des toiles peintes par Jean-Gabriel Domergue ?
Longtemps je n’en ai pas eu, jusqu’à ce que l’une de mes cousines, sachant que j’avais posé pour lui, m’offrit une toile réalisée vingt ans plus tôt. J’y ai les cheveux relevés, les épaules nues surgissant d’une guêpière jaune.
Depuis j’ai acquis les autres tableaux pour lesquels j’ai posé, trois au total.

Vous avez posé pour le peintre. Que vous a apporté cette expérience ?
Être modèle était une école de patience. Mais poser m’ouvrait aussi la porte d’un monde inconnu, des terres nouvelles où tout n’était que luxe et beauté.
Domergue, tout en maniant le pinceau, me faisait des cours sur les styles, sur la peinture. Il me racontait être allé à Amsterdam, uniquement pour y voir dans un musée un tableau qu’il aimait. Cela m’avait beaucoup étonnée, moi qui, à l’époque, n’avais pu observer que les seuls tableaux des églises où ma mère m’emmenait !
Je me souviens, au début de mon mariage, avoir éprouvé le même étonnement quand, dans notre château de Pregny, je vis arriver un spécialiste de Watteau chargé de mesurer le bras droit du Bel Indifférent accroché dans le salon jaune. Je lui proposais de visiter la maison qui renferme de très belles collections. Il déclina mon offre. Qu’un homme censé aimer l’art n’eût pas plus de curiosité me consterna.

Comment êtes-vous passée de modèle à comédienne ?
C’est Jean-Gabriel Domergue qui me conseilla de faire du théâtre et du cinéma. Il m’adressa à Marc Allégret qui avait lancé nombre de vedettes.
J’ai commencé par le music-hall, la comédie musicale, l’opérette, tout en continuant à poser pour d’autres peintres à la Grande Chaumière : Touchagues, Dyf. J’ai obtenu mon rôle fondateur dans Les Grandes Familles où je jouais la maîtresse de Pierre Brasseur, puis dans En effeuillant la marguerite, où j’incarnais un jeune mannequin qui disputait à Brigitte Bardot le cœur de Daniel Gélin. Grâce à Georges Cravenne, le président d’Unifrance-Films qui organisait des festivals dans le monde entier pour représenter la France, je voyageais beaucoup.
Peu après, à Londres, j’ai rencontré Lance Callingham qui m’introduisit dans un monde qui n’était pas fait de stuc, de dorures, de décors. Il m’offrit ma première barbotine, des petits chiens, des staffordshire.

Pourquoi avez-vous vendu cette collection de barbotines chez Christie’s, en novembre dernier ?
J’adorais ces céramiques fin de siècle au décor délirant et aux couleurs hardies. La seconde barbotine, je l’avais achetée à Mistinguett.
Le jour du mariage de Caroline de Monaco avec Philippe Junot, je me souviens avoir déniché deux flamants roses, que je garde à Genève encore aujourd’hui. Ensuite je me suis intéressée aux faïences, aux porcelaines, aux terres cuites.
J’ai vendu une partie de ma collection, mais j’ai gardé encore beaucoup de ces barbotines.

L’année 1960, vous rencontrez votre futur mari, le baron Edmond de Rothschild, un grand collectionneur. Vous a-t-il communiqué le goût des collections ?
Mon mari était héritier des collections de son père et de son grand-père. Il était atteint de cette maladie propre aux Rothschild : la passion des œuvres d’art.
Le baron James, son arrière-grand-père, avait accumulé des objets précieux depuis l’acquisition en 1818 de son premier tableau, La Laitière de Greuze, et des toiles provenant des collections privées de Guillaume III de Hollande, de Christian de Danemark, du prince Demidof, ou du duc de Berry.
Lorsque les collections de Versailles furent mises en vente, il acheta le secrétaire de Marie-Antoinette qui fut longtemps dans ma chambre à Paris. Mon époux se retrouva donc à la tête d’une des plus belles collections de son temps : Rembrandt, Rubens, Fragonard, Boucher, Watteau, Goya.
Chez les Rothschild on ne revend pas ses collections. En même temps que je collectionnais les barbotines, j’ai réuni des maquettes de bateaux que mon mari adorait, ainsi que des entonnoirs et des taste-vin du xviiie. J’ai également rassemblé des meubles hollandais du xviiie incrustés d’ivoire, ainsi que des cristaux de Bohême.

Vous aimez visiblement vous entourer de nombreux objets. Les rapportez-vous de vos nombreux voyages ou préférez-vous les acheter chez les antiquaires ?
Je rapporte peu de chose de l’étranger car tout ce que l’on ramène a un charme différent une fois de retour en France.
J’ai craqué pour des pots en céramique bleue du Japon, pour un tableau birman représentant une jeune fille entourée de bibelots que j’ai accroché dans ma maison de pêcheur en Bretagne, au-dessus de mon lit.
J’achète plutôt chez les antiquaires de la rue Jacob à Paris, je vais également beaucoup au marché aux puces, sur les brocantes, ou dans les vide-greniers, lorsque je suis à Bordeaux.

Biographie

1889 Naissance à Bordeaux. 1906 Il expose au Salon des artistes français et reçoit la mention honorable. 1913 Lauréat du Prix de Rome avec un sujet classique. 1950 Il est élu membre de l’académie des beaux-arts. 1955 Domergue devient conservateur du musée Jacquemart André à Paris. 1962 Décès à l’âge de 73 ans dans sa villa cannoise

Les galeries

Galerie 15 Miromesnil Outre les tableaux présentés aux cimaises de sa galerie, Noé Willer voit circuler de nombreuses toiles pour estimation. Il est également l’expert de la maison Drouot pour toutes les ventes et expertises. 15, rue de Miromesnil, Paris VIIIe, tél. 01 53 43 80 90. Galerie de Souzy La galerie de la place Beauvau voue une véritable passion au portraitiste. 98, rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris VIIIe, tél. 01 42 65 90 96. Maisons de ventes Les ventes de Jean-Gabriel Domergue abondent dans les maisons de ventes aux enchères, à Drouot ou en régions. Pour connaître les dates de ventes : La Gazette de l’hôtel Drouot, hebdomadaire 3,40 € , ou le site www.gazette-drouot.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°582 du 1 juillet 2006, avec le titre suivant : Nadine de Rothschild, une ingénue qu’il affectionnait peindre

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