Mutualiser les œuvres

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2008 - 559 mots

Les collectionneurs privés seraient-ils versatiles ? Abuseraient-ils du fait que dans un double contexte de marché haussier et d’érosion budgétaire des musées, ils tiennent les rênes du jeu ? Certains ont pu le penser quand le Californien Eli Broad (lire p. 8) a décidé de ne plus donner ses œuvres au Los Angeles County Museum of Art (LACMA). Ce dernier avait pourtant créé une extension, le Broad Contemporary Art Museum à Los Angeles, dont les 56 millions de dollars avaient été financés par le collectionneur (lire p. 8).
Ce retrait a effrayé bon nombre de directeurs de musées, inquiets que ce geste isolé fasse boule de neige. La plupart dépendent fortement des privés. Ne serait-ce qu’en France, le volume des dations se chiffrait à 32,4 millions d’euros en 2007. Par ce procédé, le Centre Pompidou a pu obtenir un Bacon et un Rothko provenant de la succession Jean-Pierre Moueix, et Orsay a accueilli Le Plaisir de Bonnard. De son côté, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris a obtenu quarante-quatre donations en 2007, notamment une quinzaine de sculptures d’Étienne Martin de la part de L’Oréal, correspondant à plus du double de ses achats.

Mutualisation des œuvres
Néanmoins, le geste d’Eli Broad appelle à d’autres réflexions. Pour pallier la flambée du marché, celui-ci préconise la mutualisation des œuvres et de leurs stockages. « Les musées seraient mieux lotis s’ils partageaient les frais d’assurance et de stockage, a-t-il ainsi déclaré au New York Times. Nous pensons que nous pouvons mieux servir les musées en continuant à rendre accessible une collection d’art contemporain qui sera partagée par plusieurs institutions. » Certaines ont certes eu recours à des achats groupés. Le Centre Pompidou a ainsi acquis avec la Tate Modern de Londres et le Whitney Museum de New York la vidéo Five Angels for the Millennium de Bill Viola. Rappelons qu’une vidéo de l’artiste américain vaut, en effet, au bas mot dans les 700 000 dollars. Beaubourg a remis ça avec Mapping the Studio de Bruce Nauman, acheté avec la Tate Modern et le Kunstmuseum de Bâle. Faute de pouvoir emporter tout un fond de Moholy-Nagy, Beaubourg se l’était aussi réparti avec le Musée Folkwang d’Essen en 1994. « Cela ne peut fonctionner que pour des cas ponctuels, avec des multiples. Je vois mal une politique complète basée sur la copropriété, car les œuvres se fatiguent si on les transporte sans arrêt d’un endroit à un autre », indique Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne. Quid des dépôts de collectionneurs que suggère aussi Eli Broad ? « Je n’y suis pas très favorable, sauf s’ils se transposent au final en achat. C’est plus satisfaisant pour un musée ou une collectivité d’être propriétaire de ses œuvres », observe Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Les institutions craignent aussi de servir de showroom à des collectionneurs, lesquels profitent de ces prêts pour valoriser leurs œuvres avant de les mettre à l’encan. Ce fut le cas en 2001 avec l’Allemand Hans Grothe, lequel a envoyé chez Christie’s une quarantaine d’œuvres auparavant déposées dans les musées de Bonn et Duisburg. Broad aurait sans doute provoqué plus d’émoi, si au lieu de garder ses œuvres, il avait préféré les vendre, comme les héritiers de Nathan Smooke, une autre collection convoitée par le LACMA et vendue chez Phillips en 2001.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Mutualiser les œuvres

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