Salon

Moscou tient ses promesses

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 11 juin 2004 - 749 mots

La première édition de la Moscow World Fine Art Fair était d’une grande qualité. L’enthousiasme ambiant n’a toutefois pas précipité les ventes.

MOSCOU - « Moscou est une ville dopante », lance l’antiquaire parisienne Flore de Brantes. La force d’inertie héritée de l’ère soviétique s’y entrechoque à une vitalité hors du commun. Après la foire d’art contemporain Art Moscow, qui a fermé ses portes le 30 mai, la curiosité des Moscovites s’est concentrée du 31 mai au 7 juin sur la première édition de la Moscow World Fine Art Fair, conçue par le Genevois Yves Bouvier, président de la société de transport d’œuvres d’art Natural Le Coultre, et patronnée par Zurab Tsereteli, l’artiste qui fait la pluie et le beau temps dans la capitale russe. À l’exception de Cazeau-La Béraudière, dont le stand n’était pas à la hauteur de ses accrochages habituels, et des bronzes d’Arman présentés par Albert Benamou, les antiquaires se sont attachés à l’excellence. Même si celle-ci repose sur des invendus d’anciens salons comme le Poliakoff gris de Darga & Lansberg, remarqué à la FIAC sur le stand de Di Meo ou Olympe et Marsyas de Nicolas Poussin, présenté à la dernière Biennale des antiquaires par la Genevoise Jan Krugier, Ditesheim & Cie. Qu’importe, puisqu’il s’agissait de montrer des objets de haut niveau à des Russes avides de connaissances. Dans le peloton des pièces rares se trouvait aussi le Portrait d’Olga Kholkhova par Picasso que la galerie Krugier affichait pour environ 60 millions de dollars.

Dédaignant souvent l’affluence des chalands au portefeuille dégarni, les antiquaires ont pourtant accueilli à bras ouverts la foule de curieux de la classe moyenne moscovite. C’est dire si les marchands ont actuellement besoin de se sentir aimés ! Même la dynastie parisienne des Kraemer, qui se dérobe à de tels événements, avait confié quatre meubles de qualité à la galerie Krugier. Les clients potentiels étaient souvent discrets, missionnant leurs conseillers ou profitant des plages de fermeture officielle. Méfiants, ils rechignaient à laisser leurs cartes. « Il ne faut pas les brusquer, mais, si j’étais plus jeune, je viendrais ici une fois par mois », confie le spécialiste en art italien Giovanni Sarti. Le salon fut l’occasion de tester les goûts, qui déjouent parfois les clichés habituels. « Étonnamment, ce n’est pas le meuble néorenaissance argenté qui a suscité le plus de curiosité, mais celui Art nouveau d’Henri Laurent », note le Parisien Frank Laigneau.

Spécialisée dans les artistes russes et travaillant à 30 % avec les marchands locaux, la galerie parisienne Le Minotaure a fait florès. À l’ouverture du gala, elle avait vendu sept pièces entre 50 000 et 200 000 euros. « Un seul client m’a acheté six pièces. Il avait déjà une dizaine d’œuvres provenant de chez moi, mais il passait par un intermédiaire », précise le directeur de la galerie, Benoît Sapiro. Certaines ventes se sont nouées avec des étrangers. C’est le cas du plat en argent de la période de Charles Quint vendu par le Bruxellois Bernard De Leye à un collectionneur belge. Idem pour les Footballers de Nicolas de Staël, réservés par un musée étranger à la galerie Krugier. Malgré les touches évoquées çà et là, peu de transactions sont à relever dans l’ensemble. Les amateurs se montrent extrêmement lents à l’achat, inquiets de l’authenticité des objets. « Les Russes demandent les provenances, ont une soif d’explications. La demande de prix ne vient qu’à la fin », souligne l’antiquaire Marc Segoura. D’après certains antiquaires, quelques clients auraient été prêts à acheter, mais en espèces, le système de transfert dans les ports francs leur semblant trop « complexe ». Et il faut battre le fer tant qu’il est chaud car les revers de fortune russe peuvent être abrupts.

Les revers de popularité ne le sont pas moins. Pour donner une pérennité au salon, les antiquaires devraient s’assurer d’autres appuis que celui de Zurab Tsereteli, proche de l’actuel maire de Moscou Youri Loujkov. Peu apprécié par le président Vladimir Poutine, l’édile risque de tirer prochainement sa révérence. Un départ potentiel perçu comme une catastrophe par les milieux culturels locaux. Quoi qu’il en soit, Moscou continue de séduire. Après l’exposition de Boris Zaborov organisée par la Galerie Vallois à la Galerie Tretiakov jusqu’au 18 juillet, le spécialiste en Art déco Jean-Marcel Camard y organisera du 23 au 31 octobre l’exposition d’une collection privée de pièces de Jean Puiforcat. Le Musée Pouchkine a demandé à Benoît Sapiro de réfléchir à une exposition autour de Serge Charchoune. Une brèche est ouverte.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°195 du 11 juin 2004, avec le titre suivant : Moscou tient ses promesses

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