Entretien

Mehdi Chouakri, galeriste à Berlin

« À Berlin, tout doit avoir une pertinence »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2010 - 744 mots

Qu’est-ce qui vous a décidé à participer à nouveau à l’opération « Berlin-Paris » (lire p. 23) ?
C’est lié à la réussite de la première édition qui nous a tous surpris. Il y a souvent eu des échanges entre galeries de villes différentes, mais cela n’a pas atteint la répercussion que nous avons connue en janvier 2009. La presse quotidienne germanique a été dithyrambique. Les Allemands ont eu l’occasion de connaître Paris plus en profondeur. L’événement n’a pas été décidé par un ministère, mais avec les professionnels, ce qui a donné à cet exercice, habituellement très scolaire, une touche plus ambitieuse. Le succès que nous avons rencontré dans l’échange avec la Galerie 1900-2000 nous a confortés à recommencer avec eux. Il ne faut pas changer une formule qui gagne, d’autant plus qu’une amitié s’est tissée avec David et Marcel Fleiss. J’accueillerai une exposition de Francis Picabia et je ferai chez eux un solo show de Gerold Miller, un artiste qui travaille dans une tradition géométrique inspirée du Bauhaus et de l’Art concret.

L’Allemagne a toujours regardé en direction des États-Unis, et de nombreux galeristes d’origine allemande ont ouvert un espace à New York. Avec « Berlin-Paris », cet axe atlantiste peut-il se déplacer vers la France ?
La scène française a longtemps été ignorée en Allemagne, car elle était restée autonome et opaque, sans grand contact avec l’étranger. Mais depuis les années 1990, avec la génération des [Philippe] Parreno et [Dominique] Gonzalez-Foerster, puis des [Mathieu] Mercier et [Matthieu] Laurette ou maintenant Loris Gréaud, la scène hexagonale communique plus avec ses pairs à l’étranger. De leur côté, les jeunes générations d’artistes berlinois ne voient pas systématiquement l’Amérique comme un eldorado. Berlin-Paris permet un rapprochement durable, sinon cela ne servirait à rien. J’aimerais d’ailleurs réaliser des projets à Paris, comme montrer le dernier film d’Isabelle Heimerdinger, mais il faut trouver un lieu adéquat. Il y a deux ans, j’imaginais ouvrir un espace à Paris ; je préfère finalement mener des projets plus légers en termes d’organisation.

Le réseau des galeries berlinoises semble très difficile à percer. Comment avez-vous réussi à y faire votre place depuis 1996 ?
Ce n’était pas facile. Les Allemands sont exigeants intellectuellement. On peut se permettre des choses en France qui ne seraient pas possibles en Allemagne. Ici, tout doit avoir une pertinence. Or j’aime déranger. Même si mon programme peut sembler formaliste au premier coup d’œil, il est toujours lié à une position conceptuelle forte. Les galeries germaniques ont un style précis, rodé, un programme très homogène, avec peu de contrastes alors que j’aime ajouter des contrastes. Il existe des réseaux de galeristes et des réseaux de collectionneurs qui n’achètent que chez elles. Il est du coup difficile de s’imposer, il n’y a pas de droit à l’erreur. On doit se remettre tout le temps en question, car les pairs sont prêts à vous juger. Mais quand ils voient que vous faites quelque chose de bien, ils vous respectent.

Trois de vos artistes, Mathieu Mercier, Claude Closky et récemment Saâdane Afif, ont obtenu le prix Marcel-Duchamp. Cette récompense est-elle reconnue en Allemagne ?
Pendant longtemps, le prix le plus médiatisé en Allemagne était le Turner Prize [organisé par la Tate Britain à Londres], mais c’est devenu maintenant une petite information parmi d’autres. Les récompenses étrangères ont d’autant moins d’impact que l’Allemagne a son propre prix, décerné par la Neue Nationalgalerie (Berlin). Mais quand Saâdane [Afif] a reçu le prix Duchamp, nous avons fait un mailing et la presse a réagi. En parallèle à l’exposition de Picabia, je ferai d’ailleurs une exposition des trois lauréats du prix Duchamp. Mathieu [Mercier] est acheté régulièrement par les collectionneurs allemands et Saâdane, qui vit partiellement à Berlin, y est reconnu. Je lui consacrerai un one-man show à la Foire de Bâle en juin dans la nouvelle section « Feature ».

Lors de l’édition 2009 de la Foire de Bâle, vous aviez mis à l’honneur Charlotte Posenenske (1930-1985), qui aura en février une exposition monographique au Palais de Tokyo, à Paris. Comment s’est effectué son revival ?
Cette artiste n’a jamais été à l’avant-scène, même si elle était reconnue à Francfort dans les années 1960. La reconnaissance vient de la Documenta de Cassel 2007. Son travail sur la modularité est très pertinent par rapport à toute une génération d’artistes comme Angela Bulloch. Les années 1960-1970 sont maintenant assez éloignées pour en avoir une lecture historique.

GALERIE MEHDI CHOUAKRI, Invalidenstraße 17, Berlin, tél. 49 30 28 39 11 53, mehdi-chouakri.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°316 du 8 janvier 2010, avec le titre suivant : Mehdi Chouakri, galeriste à Berlin

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