ENTRETIEN

Maurice Garnier, galeriste à Paris

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 25 juin 2009 - 821 mots

« Bernard Buffet est un peintre de génie »

Votre galerie est exclusivement consacrée à l’œuvre de Bernard Buffet. Comment peut-on se concentrer sur un seul artiste ?
J’ai rencontré Buffet en 1948 et il a dévoré ma vie. Je l’ai découvert chez Emmanuel David qui, comme moi, présentait d’un côté des jeunes artistes et travaillait de l’autre avec des tableaux de grands maîtres. Je me suis concentré sur Buffet lorsque je me suis rendu compte que j’avais réalisé des éditions pour beaucoup de peintres sauf pour lui. J’ai renoncé en 1977 à exposer d’autres peintres.

N’est-il pas difficile de défendre un artiste très peu apprécié ?
Buffet a eu en 2006 une exposition au Gemeentemuseum de La Haye, en 2007 au Musée départemental breton [à Quimper], en 2008 au MMK de Francfort, un musée d’avant-garde que je sache, et cette année au centre de La Vieille Charité à Marseille. Pour un peintre prétendument peu apprécié, il a eu beaucoup d’expositions, non ? Que dix ans après sa mort, cinq personnes à la galerie vivent des ventes que nous faisons, c’est qu’il y a des raisons. En revanche, les musées français, eux, ne le présentent pas. Ce n’est que depuis quelques mois que le Musée d’art moderne de la Ville de Paris a enfin exposé cinq tableaux de Buffet issus du don du docteur Maurice Girardin. Depuis 1953, ces œuvres n’avaient pas été montrées ! Les gens ont été indisposés par la réussite trop précoce et très médiatisée de Buffet dans les années 1950. Mais le cas de Buffet n’est pas isolé. Jusqu’à sa mort, Georges Simenon a été considéré comme un auteur de gare. Buffet, on l’a considéré comme un peintre de clowns et de fleurs pour des gens de mauvais goût.

Comment expliquez-vous qu’un jeune galeriste comme le Bruxellois Sébastien Janssen ou qu’un curateur pointu comme éric Troncy s’intéressent à ce travail ? Y a-t-il de l’ironie dans leur démarche ?
Eric Troncy pense que Buffet est un grand peintre et il a mis des tableaux pour son exposition « Coolustre » à la Collection Lambert [à Avignon en 2003], puis à « La Force de l’Art » [en 2004]. Sébastien Janssen fera une exposition en janvier dans sa galerie, à Bruxelles, et il a déjà exposé un tableau l’an dernier à la Fiac. C’était la première fois qu’un tableau de Buffet était visible dans cette foire !

Quelle serait l’originalité de Buffet, dont le travail est très répétitif et parfois médiocre ?
Buffet est un peintre de génie. Ses thèmes sont universels. Il peut aussi bien faire une peinture lisse presque sans couleur et une autre empâtée et colorée. Il a fait plus de 8 000 tableaux. Ça ne peut pas être que des chefs-d’œuvre. Quand on veut parler péjorativement d’un artiste, on dit qu’il fait de la série. On dit que Picasso est « fécond », mais que Buffet, lui, « fait de la série »… Tous ceux qui disent que Buffet est un mauvais peintre n’ont pas vu d’expositions importantes de lui. Ils se contentent de ce qu’ils voient dans les catalogues de ventes.

Y a-t-il toujours un marché pour Buffet, même après la désertion des clients japonais ?
Au Japon, ses tableaux continuent à se vendre. La galerie Taménaga y a vendu plus de 2 000 toiles. Par ailleurs, on me demande en moyenne dix à douze certificats par mois, ce qui signifie qu’il y a au moins dix à douze transactions par mois. Ses tableaux valent entre 100 000 et 200 000 euros en galerie, ce qui n’est pas cher. L’essentiel de nos acheteurs sont des amateurs français et l’on doit s’adapter à ce que les Français peuvent payer. Le marché de Buffet est tout à fait satisfaisant, si l’on fait abstraction de la crise actuelle. Au lieu de vendre cinquante tableaux dans l’année, j’espère en vendre dix. Pour la première fois de ma vie, je vais peut-être perdre de l’argent.

Vous avez l’intention de faire don de plus de 200 œuvres pour la création d’un musée Bernard Buffet. Où en est ce projet ?
Ma femme et moi comptons donner 234 œuvres et les héritiers de Bernard seraient prêts à en donner 53 si ce musée voit le jour. Le maire d’Albi avait eu l’intention de créer un musée, mais quand il a voulu faire un contrat de plan avec l’état, il a essuyé un refus. En septembre dernier, le maire de Carpentras m’a indiqué qu’il aimerait accueillir cet ensemble dans le bâtiment de l’Hôtel-Dieu qui sera réaménagé par Wilmotte. Le problème, c’est de trouver les 20 millions d’euros nécessaires à la réfection de l’édifice.

Vous aviez un temps pensé fermer la galerie. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je voulais fermer en décembre prochain. Mais je pense que ce serait inélégant de le faire en temps de crise. Je repousse ce projet pour dans au moins un an, en attendant que les affaires reprennent.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : Maurice Garnier, galeriste à Paris

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