L’image sacrée des jumeaux

La galerie Flak rend hommage au culte Yoruba des Ibedji

Le Journal des Arts

Le 11 janvier 2002 - 731 mots

Caractéristiques du peuple Yoruba, les figures sculptées Ibedji représentent
les enfants jumeaux décédés. Choyées et aimées comme de véritables nourrissons, ces statuettes sont un touchant témoignage du caractère sacré de l’amour maternel. La galerie Flak présente une exposition dédiée au culte des jumeaux, réunissant plus d’une centaine d’objets d’une qualité exceptionnelle.

Paris - À l’origine de l’exposition de la galerie Flak se trouve la collection de Christian Astuguevieille qui, depuis trente ans, s’intéresse aux Ibedji. Aux 35 statuettes de l’artiste sont venues s’ajouter des figures réunies par les marchands Édith et Roland Flak pour constituer un ensemble de 122 effigies. Elles illustrent le culte des Ibedji, apparu à la fin du XVIIIe siècle en pays Yoruba, et qui se prolonge encore aujourd’hui. La pièce la plus tardive de l’exposition date des années 1930, avant que l’occidentalisation ne vienne influencer les rites cultuels. La présentation, voulue par Christian Astuguevieille, rassemble les objets à hauteur des yeux, sur un immense plateau. Elle simule une place de village qui réunirait ses nombreux habitants, une population bien particulière, puisque entièrement composée de jumeaux.
La culture Yoruba s’étend au Nigeria, au Bénin et sur une partie du Togo. Pour des raisons jusqu’à présent inexpliquées, le pourcentage de naissances gémellaires y est particulièrement élevé.

Le culte des jumeaux morts
Comme dans de nombreuses régions d’Afrique, la naissance de jumeaux fut pendant longtemps considérée comme maléfique, les enfants étaient donc tués à la naissance, parfois avec leur mère. C’est aux alentours de 1780 qu’est abandonnée cette tradition infanticide, faisant place à l’instauration d’un culte voué aux enfants jumeaux. Leur naissance devient alors un grand événement. êtres doués de pouvoirs surnaturels, les jumeaux peuvent éloigner les maléfices et apporter félicité à la famille. Une attention particulière est portée à leur éducation, leur alimentation, les soins sont multipliés envers ces enfants qui ne doivent pas être contrariés. Lorsque survient le décès d’un des jumeaux, ou des deux, les parents vont consulter un babalawo, prêtre du culte d’Ifa, afin que celui-ci désigne un sculpteur qui sera chargé d’effectuer une figure de l’enfant mort. La statuette est réalisée suivant un rituel important et précis, afin de devenir ere Ibedji, figure sacrée de l’enfant jumeau. À la suite de nombreuses cérémonies, le transfert de l’âme du jumeau défunt dans la statuette est accompli. Dès lors, l’Ibedji devient la vivante incarnation du jumeau disparu et la mère doit lui prodiguer autant de soins et d’attention que s’il était vivant. Elle l’alimente, le masse, le caresse et le promène.
Les figures Ibedji montrent les enfants qu’elles incarnent sous leurs traits adultes aux caractères sexuels très marqués. D’une manière générale, la tête mesure le tiers de la sculpture. L’ornementation des figurines varie suivant différents facteurs, notamment le niveau social du défunt, la divinité à laquelle l’Ibedji est confié ou encore la région dont il est originaire. Une grande attention est portée à la chevelure qui peut être très recherchée et d’une grande précision. De même, les scarifications dont la figure est parée sont le fruit de son appartenance sociale ou régionale. La forme des yeux, des oreilles, la position des bras, des mains ou des pieds sont autant de facteurs d’une grande variété.

Collection de Tristan Tzara
Les Ibedji très choyés par leur mère ont la plus belle patine, celle-ci résultant de maintes caresses à l’huile de palme. Certaines figures particulièrement aimées ne possèdent presque plus de visage, ce dernier s’étant émoussé au fil des marques d’affection. La plupart des statuettes sont parées de bracelets, ceintures ou colliers de perles. Dans les familles aisées, on habillait l’effigie de tuniques de cauris ou de perles et l’on recouvrait sa chevelure de bleu de méthylène, un pigment très cher apporté par les Européens.
Les Ibedji présentés dans l’exposition sont vendus dans une gamme de prix moyens située entre 3 045 et 4 575 euros. Les pièces réunissent les critères de qualité recherchés pour ce genre de figurine : une belle patine d’usure, fruit des soins prodigués à la statuette, des caractères morphologiques qui donnent une personnalité forte à chaque figure et une grande variété de signes ornementaux. Parmi les Ibedji proposés se trouvent deux très rares ensembles de triplés, quelques effigies royales et deux statuettes ayant appartenues à Tristan Tzara.

- IBEDJI, CULTE DES JUMEAUX, jusqu’au 27 janvier, galerie Flak, 8 rue des Beaux-Arts, 75006 Paris, tél. 01 46 33 77 77, du mardi au vendredi 11h-13h, 14h30-19h30, samedi 11h-19h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : L’image sacrée des jumeaux

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque