bilan

L’Europe à la traîne

L'ŒIL

Le 1 mai 2002 - 722 mots

La Tefaf (The European Fine Art Fair) de Maastricht, la plus importante foire d’antiquités au monde, a commandé cette année à l’expert américain David Kusin, ancien conservateur des antiquités gréco-romaines au Met, une étude sur « Le Marché européen de l’art en 2002 ». Ce rapport vient d’être publié : il est explosif. Sans surprises, les chiffres compilés par la Kusin Company avec l’aide de la British Art Market Federation, du Syndicat national des Antiquaires français et de la Confédération internationale des négociants en œuvres d’art, montrent le déclin progressif du marché dans la vieille Europe. Le cas de la France est particulièrement inquiétant. Prenons l’exemple de l’année 1999 dans le domaine de la peinture : la France a exporté 314,52 millions d’euros de marchandise et en a importé pour 99,43 millions, une balance négative de 215,09 millions d’euros. Un grand nombre de tableaux de maîtres ont donc quitté l’Hexagone et n’y reviendront sans doute jamais. En clair, le patrimoine fout le camp. Nous ne sommes pas seuls dans ce cas. L’Allemagne est également largement déficitaire. En revanche, pour cette même année 1999, la Grande-Bretagne affiche une balance encore positive. Elle importe plus qu’elle n’exporte, mais infiniment moins que par le passé. Pourquoi ? Tout simplement parce que le taux de TVA en vigueur, dans l’île, a rejoint celui du continent. Où David Kusin va-t-il pêcher ces chiffres et sont-il fiables ? On peut se poser la question, car si les ventes aux enchères permettent une grande lisibilité, il n’en va pas de même du commerce en général. Interrogé, l’intéressé déclare avoir effectué une enquête approfondie et assure avoir même tenu compte des transactions « underground ».
Il affirme que les chiffres communiqués sont exacts. Dominique Chevallier, président du Syndicat des Antiquaires, est plus réticent. « Il convient, dit-il, de prendre ces chiffres avec précaution. Cependant ils indiquent un tendance incontestable : nous avons été laminés et cela continue ». Cette manne artistique, lorsqu’elle quitte la communauté, va bien sûr aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, en Suisse. Est-ce parce que le dynamisme des acheteurs américains s’appuie sur une richesse plus grande ? Sans doute. Est-ce en raison d’une boulimie yankee pour les biens culturels ? Peut-être, mais pas seulement. Il n’y a, aux Etats-Unis, ni TVA, ni droit de suite. Et voilà pourquoi les vieux pays (et notamment la France), où se trouvent pourtant une part essentielle du gisement d’art ainsi qu’un très grand nombre de collectionneurs tiennent une place de plus en plus restreinte dans ce commerce. Bref, la réalité est prosaïque et dérangeante : le système administratif et fiscal que les professionnels français dénoncent depuis longtemps est une entrave. Le marché de l’art, international par nature, est ouvert à une riche clientèle qui se déplace facilement, se méfie des cloisonnements, des formalités, des restrictions à la concurrence, des taxes discriminatoires. Celles-ci agissent comme des repoussoirs, découragent les amateurs, surtout les Américains qui comprennent difficilement la subtilité des réglementations européennes et suivent leur pente naturelle à chercher ailleurs, là où c’est moins compliqué. L’expérience française montre depuis longtemps que l’existence du droit de suite et de la TVA à l’importation provoquent la fuite des objets sous des cieux plus cléments. Et puis le marché de l’art jouit d’une réputation sulfureuse, il serait réservé aux riches et les gens modestes en seraient exclus.
Il est tentant donc de le taxer lourdement, redistribution oblige. La réalité est un peu plus complexe. Derrière les grands marchands, les boutiques de luxe, les professionnels mondialement connus se cachent toutes sortes d’artisans, certains forts d’une expérience familiale plus que centenaire : doreurs, encadreurs, restaurateurs, ébénistes, bronziers et bien d’autres. Ils ne demandent qu’une chose, travailler dans des métiers qui les passionnent. Il ne serait pas mauvais que les autorités communautaires et nationales prennent en compte le déséquilibre du marché de l’art dans toute l’Union européenne. Le cas de la France étant le plus grave, son déclin étant à la fois plus ancien et plus profond. Le rapport de David Kusin se conclue ainsi : « Il faut citer l’incapacité de la commission européenne et de nombreux gouvernements européens à reconnaître que le marché de l’art est une importante source d’emplois et de gains à l’exportation, qui génère des connaissances et ne nécessite pas de subventions publiques ». La balle est dans le camp de politiques.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°536 du 1 mai 2002, avec le titre suivant : L’Europe à la traîne

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