Les têtes d’affiche de la FIAC 2000

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 octobre 2000 - 1205 mots

Pour la première fois en 27 ans d’existence, la Foire Internationale d’Art Contemporain a décidé de jouer la carte de l’exposition monographique. Parce qu’elle ne pouvait se priver de marquer d’un sceau particulier sa pré-rentrée dans le nouveau millénaire, il lui fallait faire signe. Si le choix qu’elle a fait peut prêter à discussion – et il n’a pas manqué de le faire jusqu’à produire certaines réactions hostiles conduisant quelques-uns des habitués de la foire à ne pas y participer cette année –, il est l’occasion d’un numéro très spécial qui ne manque pas d’être à l’avantage du visiteur.
En rassemblant en effet quelque 217 expositions dédiées à un seul artiste, le cru 2000 de la FIAC se transforme l’espace d’une saison en une manifestation artistique d’un genre nouveau. Ni vraiment foire, ni vraiment exposition, il inaugure une nouvelle manière qui conjugue art moderne et contemporain aux temps composés de l’anthologie, du panorama, du dictionnaire, du glossaire, du classement, du guide et mode d’emploi et... du business. Après tout une foire reste une foire, quelle que soit la forme qu’elle prend, c’est-à-dire par excellence un lieu marchand, destiné à la réalisation d’un commerce. La FIAC s’y est toujours appliquée et il n’est pas question qu’elle déroge à la règle. Dans ce contexte particulier, on imagine facilement les difficultés qu’ont pu rencontrer les quelque 196 exposants sélectionnés pour choisir l’artiste qu’ils allaient montrer. Si certains marchands n’ont pas attendu après l’organisation de la FIAC pour pratiquer le mode de l’exposition personnelle, on imagine facilement les assauts de diplomatie que la plupart d’entre eux ont dû déployer auprès de leurs artistes pour justifier leur choix. Toutefois, 12 galeries ont décidé de transgresser la règle prescrite en présentant tous les deux ou trois jours un artiste différent. De la sorte, elles la respectaient tout en la détournant. Mais que l’on ne s’y trompe pas : le choix tout à fait exceptionnel d’une telle formule ne s’explique pas seulement au regard de la célébration du millénaire à venir. Il est à mettre au compte d’une véritable stratégie de renouvellement d’image dont la FIAC avait une urgente nécessité dans le contexte international et qu’avait inauguré sa nouvelle installation Porte de Versailles, l’an passé, sur le terrain même des grandes foires parisiennes. Présenté comme un « thème » – ce qu’il n’est pas au sens premier du mot – le principe obligé de l’exposition personnelle se veut d’abord et avant tout l’occasion d’un grand et large rassemblement de l’art de notre temps par-delà les barrières de générations, de cultures, de styles, tout à la fois au dedans et en dehors des effets de mode, sinon des effets d’époque. Chaque ponctuation monographique est donc une invitation à pénétrer plus en profondeur l’aventure des artistes exposés de sorte à en avoir une appréhension plus juste. Si la répartition de ceux-ci par continent n’est guère en phase avec l’idée exotique qui agite le milieu de l’art, c’est que l’exotisme en question n’est pas encore un fait économique et qu’il demeure pour l’heure une seule préoccupation culturelle. Si la France est la première des nations représentées avec 61 artistes (soit 28%) – comme c’est le cas des Allemands à la Foire de Cologne ou des Américains à celle de Chicago, et pourquoi en serait-il autrement ? –, l’Europe (hors France) en compte quant à elle quelque 86 (soit 39,6%), les Amériques 45 (soit 20,73%) et l’Asie une petite dizaine (soit 5%). Question de génération, on a souvent taxé la FIAC d’être davantage moderne que franchement contemporaine. S’agissant du cru 2000, les chiffres parlent d’eux mêmes : 85% des (suite de la p. 26) artistes exposés sont vivants, 23,5% sont nés après 1950 et 27% après 1960. Par-delà la question de l’âge dont on sait qu’elle est toujours faussée, un véritable désir d’actualité et de recherche de l’inédit accompagne le choix qui a été fait de la forme monographique. Près de la moitié des artistes sélectionnés ont en effet souhaité marquer leur présence d’une manière particulière, soit en créant une installation spécifique, soit en présentant des œuvres toutes récentes, fraîchement sorties de leurs ateliers. Qu’il s’agisse d’artistes aînés comme Tuttle (Sperone Westwater, New York), Arroyo (Metta, Madrid), Spalletti (Massimo Minimi, Brescia), Lavier (Yvon Lambert, Paris), Schütte (Faggionato, Londres), Jan Fabre (Guy Bärtschi, Genève) ou de plus jeunes comme Katharina Grosse (Sfeir-Semler, Hambourg), Fauguet (Art:Concept, Paris), Poitevin (Albert Baronian, Bruxelles), Tracey Moffat (Victoria Miro, Londres), Didier Mencoboni (Éric Dupont, Paris)... C’est dire si la FIAC offrira un étonnant mélange des genres et des techniques, comme si elle voulait aussi s’appliquer à souligner le caractère résolument éclectique de la création contemporaine. Une création où la peinture, quoiqu’en disent certaines mauvaises langues, témoigne de sa pleine forme (36% des artistes exposés en ont fait le choix), où la photographie cherche à lui disputer la place (20%), où la vidéo occupe de plus en plus de terrain, où la sculpture s’invente encore toutes sortes de manières et où l’estampe tient bon la barre. L’idée monographique qui préside à la foire n’y est pas seulement le fait d’un seul et, à l’exemple de Gilbert & George (Ropac, Paris), un certain nombre d’œuvres sont aujourd’hui réalisées à plusieurs mains sous le couvert du concept d’œuvre collective.
Ainsi des travaux de Pierre & Gilles (de Noirmont, Paris), de Jean-Pierre Khazem et Éric Duyckaerts (Emmanuel Perrotin, Paris), de Yoon-Ja & Paul Devautour (Chantal Crousel, Paris) ou bien encore du collectif mexicain Los Lichis (BF-15, Monterrey) qui ne manque ni d’humour, ni d’esprit critique, en nous invitant à une réflexion sur la création de groupe ! Comme à son habitude, la FIAC 2000 présente un petit lot d’expositions en forme d’hommage à un certain nombre de figures aujourd’hui disparues. Qu’elles soient historiques comme celle de Rodtchenko (Gmurzynska, Cologne) – dont un ensemble de sculptures et de peintures inédites de 1925 nous est offert ! – ou qu’elles soient contemporaines comme celle d’Eugène Leroy (galerie de France, Paris), – lequel nous a quittés l’an passé. Et c’est sans parler de Gargallo (Marwan Hoss, Paris), de Fontana (Tornabuoni, Florence), de Tobey (Hachmeister, Munster), de Michaux (Chobot, Vienne) ou de Warhol, avec des peintures et des dessins inédits de 1950 à 1970 (Susan Sheehan, New York). C’est un vrai panorama de l’art du XXe siècle avec une orientation très contemporaine que présente la FIAC 2000. Des aventures tumultueuses des avant-gardes, de Dada jusqu’à nos jours, elle aborde tous les grands thèmes qui n’ont de cesse de préoccuper les artistes : le figuré et l’abstrait, le construit et l’organique, le minimal et le pauvre, le conceptuel et le narratif, le matériel et le naturel, le corps et l’esprit, l’identité et l’altérité, l’économique et le politique, l’écologique et le sociologique...
On n’en finirait pas d’énoncer les registres de la création contemporaine telle qu’elle apparaît dans le contexte de la foire ! Encore une fois, la FIAC 2000 reste d’abord et avant tout fidèle à sa fonction première, celle d’être un grand rassemblement, le plus complet qui soit. La particularité formelle dans laquelle elle se présente cette année offrira irrésistiblement au regard une plus grande visibilité et un plus grand confort, donc les conditions d’une meilleure acuité. Sa réussite serait que le cas fasse école.

PARIS, Porte de Versailles, 25-30 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°520 du 1 octobre 2000, avec le titre suivant : Les têtes d’affiche de la FIAC 2000

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