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ART CONTEMPORAIN

Les djinns très toniques de Peybak

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 9 mars 2022 - 633 mots

PARIS

Le duo iranien transporte le visiteur dans un monde imaginaire et étrange peuplé de créatures inquiétantes grouillant dans leurs tableaux.

Paris. Peyman Barabadi et Babak Alebrahim Dehkordi (tous les deux nés en 1984) se sont rencontrés lorsqu’ils faisaient leurs études d’animation dans une école d’art à Téhéran. Ils vont alors très vite former le duo aujourd’hui connu sous le nom de Peybak, constitué par la première et la seconde syllabe de leurs prénoms respectifs.

Lorsqu’en 2014 Georges-Philippe et Nathalie Vallois rencontrent le premier – alors en visite à Paris notamment pour trouver une galerie (Peybak travaillait déjà avec la Dastan Gallery à Téhéran, présente dans de nombreuses foires internationales) –, ils proposent au duo une première présentation dans leur espace, qui aura lieu l’année suivante. À cette occasion, Peybak crée et introduit l’univers dont il ne s’est depuis jamais départi : le monde d’Abrakan. Un joli nom à consonance persane mais qui, totalement inventé, ne signifie rien de particulier, si ce n’est l’évocation du nuage et des nuées (« abr » signifie « nuage » en persan), point de départ et cadre rêvé pour un conte grinçant. Trois expositions seront organisées par la suite.

L’insoutenable étrangeté des corps

La quatrième, intitulée « Strange Aeons – We will meet you there » (« Les limbes étranges – c’est là que nous vous rencontrerons ») inspirée d’une phrase de H. P. Lovecraft, est sans doute l’exposition la plus surprenante et troublante du moment. En témoignent ces trois œuvres « vivantes », l’une tapie dans un coin de l’entrée de la galerie, les deux suivantes au beau milieu des deux autres salles, qui évoquent des créatures mi-humaines, mi-animales gisant au sol. Apparemment sophistiquées, elles sont simplement réalisées dans des blocs de mousse soigneusement sculptés, recouverts de silicone peint dans les tonalités roses de la peau avec ajouts de légers indices de pilosité et de quelques cheveux, entre E. T. et un chat sans poils. Le malaise s’accentue encore lorsqu’on découvre que ces créatures, avec leurs têtes et pattes de bête, mais leur corps d’homme ou de femme, sont dotées dans leur « chair » d’un petit moteur et semblent respirer.

L’ambiguïté sur leur nature se retrouve dans les deux autres types d’œuvres ici présentées, aussi bien une suite de quatre grandes toiles que la trentaine de petits tableautins. Les premiers grouillent de milliers de petites figures, entre virgules animées et spermatozoïdes qui, lorsqu’on s’en approche, prennent l’allure, le visage ou le corps parfois très sexué de petits personnages. Ces derniers s’agitent et virevoltent dans des compositions en vortex, quelquefois fractales, propices à de subreptices copulations dissimulées dans le maelstrom. Et que ça saute et tourbillonne !

Dans les petits tableaux, dont l’univers se situe entre Jérôme Bosch, les miniatures persanes et les jeux vidéo, des êtres humains, gnomes, djinns ou animaux, cela déborde d’activité et s’agite dans tous les sens : courses-poursuites, chasses, embrassades, accouplements. Chaque scène est peinte dans des tons sombres, vert émeraude, marron, qui donnent une grande étrangeté aux œuvres. Cette impression est encore augmentée par le fait qu’elles sont insérées dans des cadres spécialement réalisés par Peybak et que certains d’entre eux sont même surmontés de sculptures en bois créées par le duo, comme des gargouilles énigmatiques qui viennent encore renforcer le mystère et multiplier les interrogations. D’autant qu’en arrière-plan, la lumière est toujours très étudiée sans qu’on sache s’il s’agit de celle de l’aube ou du crépuscule. Entre les deux sans doute, comme un symbole et un résumé d’une vie entre chien et loup, entre rêve et cauchemar, entre deux mondes. Celle d’Abrakan sans doute.

Entre 2 800 euros pour les plus petits tableaux et 24 000 euros pour les grandes peintures et les sculptures, les prix sont convenables pour ces artistes pas encore très reconnus, mais qui risquent de le devenir rapidement, s’ils ne se font pas dévorer par leurs propres créatures.

Peybak, Strange Aeons – We will meet you there,
jusqu’au 19 mars, Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, 36, rue de Seine, 75006 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Les djinns très toniques de Peybak

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