Ventes aux enchères

Les dessous des ventes caritatives

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 1 octobre 2018 - 968 mots

Les événements philanthropiques apportent un supplément d’âme aux maisons de ventes et une visibilité médiatique, les rapprochant des artistes et de nouveaux clients potentiels.

À l’occasion de l’année Foujita et de l’exposition consacrée au peintre japonais par le Musée Maillol cinquante ans après sa disparition, la Fondation Foujita organise le 9 octobre avec Artcurial une vente aux enchères caritative à l’hôtel Lutetia. La Fondation a convié une quarantaine d’artistes à rendre hommage à Foujita en créant une œuvre mise à prix 1 000 euros ; les fonds collectés financeront des projets artistiques et culturels au profit d’enfants en difficulté accompagnés par les Apprentis d’Auteuil. La scénariste et réalisatrice Danièle Thompson, dont le père Gérard Oury était proche de Foujita, est la marraine de l’événement.

Le 27 juin, c’est la Fondation Tara qui, en collaboration avec Agnès b et son fonds de dotation, proposait une vente caritative, toujours sous le marteau de la maison du Rond-Point des Champs-Élysées. Près de trente artistes de renom, issus du street art, offraient là aussi une œuvre originale, mise à prix également 1 000 euros et inspirée cette fois d’une réplique de la coque du mythique bateau d’expédition Tara. Parmi eux, Mist, Speedy Graphito, JonOne, Jacques Villeglé… Les 124 000 euros récoltés ont été reversés à la fondation engagée depuis quinze ans en faveur de l’environnement, de la recherche marine à la préservation de l’océan. En mai, Artcurial, partenaire officiel de la traditionnelle vacation à caractère social de la Fondation du PSG, levait encore 1,7 million d’euros contre 660 000 euros un an plus tôt.
 

Artcurial et Christie’s, deux acteurs en pointe

Artcurial est un habitué de ces prestations spéciales (une quinzaine par an rapportant 1 à 2 millions d’euros) pour lesquelles les maisons de ventes ne prennent pas de commission mais qui, néanmoins, se multiplient. La raison ? Aujourd’hui, les as du marteau rivalisent d’ingéniosité pour apparaître bien davantage que de simples opérateurs commerciaux, face aux galeries d’art et aux foires avec leurs expositions curatées. Et, dans un contexte de concurrence féroce, les maisons de ventes cherchent aussi à se démarquer. Le challenger de Christie’s et Sotheby’s à Paris est particulièrement en pointe, car il a toujours cherché à cultiver une image décalée dans son superbe hôtel Dassault qui abrite également une librairie d’art. Le président du conseil de surveillance, Francis Briest, est allé jusqu’à créer une agence culturelle, concevant des expositions clés en mains pour l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, le centre commercial Nicetoile de Nice ou le train Orient-Express.

Ces ventes de charité sont également une façon d’attirer de nouveaux clients, de se rapprocher des artistes mis à contribution, de s’assurer une visibilité médiatique surtout lorsqu’elles embarquent des peoples dans l’aventure. Ce peut être, enfin, l’occasion de mettre en lumière des départements moins connus : ainsi, quand, le 20 septembre, Artcurial orchestre la 11e édition de La Part des Anges (dîner caritatif biennal à l’initiative de l’interprofession du cognac, autour de carafes et d’assemblages d’exception), cela permet à ses spécialistes Vins fins & Spiritueux de travailler étroitement avec des viticulteurs de l’appellation. Avec pour parrain le chef étoilé Thierry Marx – son association de réinsertion Cuisine Mode d’emploi(s) était l’une des bénéficiaires – et pour cadre les prestigieux Chais Monnet, l’expérience offerte aux participants était unique.

Christie’s est également très engagée avec une douzaine de ventes philanthropiques par an. Le 7 juin, 22 œuvres d’artistes de renom ont ainsi été adjugées 1,66 million d’euros pour le Consortium, centre d’art de Dijon. La maison internationale est une habituée de « coups » emblématiques comme cette vente, en 2017, souhaitée par le célèbre galeriste Kamel Mennour pour l’Institut Imagine spécialisé dans les maladies génétiques, générant 4,7 millions d’euros, ou celle, mémorable, proposée par Leonardo DiCaprio à New York en 2013 qui a totalisé pas moins de 38,8 millions de dollars pour la préservation d’espèces menacées ! Rien de tel pour susciter un élan d’admiration et de sympathie auprès d’un grand nombre d’acheteurs potentiels.
 

Une bonne aubaine

Globalement, ces opérations caritatives représentent entre 0,5 % et 2 % du produit global annuel des maisons de ventes concernées. Si la France est loin d’atteindre les scores des pays anglo-saxons, le phénomène monte en puissance sous la pression des associations confrontées au désengagement des acteurs publics, et dans un contexte de banalisation du financement participatif. Même les maisons de ventes de taille moyenne s’investissents comme Millon à qui l’on doit fin juin l’importante vacation à l’aveugle, Recto/Verso, pour le Secours populaire : LVMH Moët Hennessy étant mécène de l’association, le cadre choisi était prestigieux, la Fondation Vuitton, où s’est tenue en amont une exposition à l’accès gratuit. Et pas moins de cent artistes du monde entier ont offert une œuvre de format unique, signée au dos (l’identité n’étant révélée qu’à l’issue des enchères), pour une mise à prix de trois cents euros.

Si l’opération était une aubaine pour les acheteurs au regard exercé qui pouvaient reconnaître la patte de tel ou tel talent, tous se voyant exonérés des frais habituels de 12 à 25 % du prix adjugé, de même que pour le commissaire-priseur comme à la Fondation Vuitton auxquels elle a fait beaucoup de publicité, elle a tout de même rapporté 305 000 euros au Secours populaire ! Un peu moins toutefois que la belle enveloppe de 504 000 euros collectée fin 2016 par Drouot pour les Petits Frères des pauvres.

Une bonne cause ne suffit toutefois pas à garantir le succès, encore faut-il que les lots répondent aux attentes. Malgré l’euphorie du Mondial, Éric Pillon n’a pas fait de miracle en dispersant en juin le mobilier du château des Bleus de Clairefontaine. Ces 250 pièces, somme toute assez banales, cédées gracieusement par la Fédération française de football au Lions Club International, n’ont généré que 20 000 euros au profit de l’Institut Curie et du FondaCtion du football…

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Les dessous des ventes caritatives

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