Le Salon du dessin coté en Bourse

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 mars 2004 - 1025 mots

Tout en pointe, en saillie, en subtilité et en nuances, le Salon du dessin s’est forgé une réputation non usurpée de qualité. Celle-ci attire les collectionneurs chevronnés, au goût aussi affûté que celui des bibliophiles. Avis aux jeunes amateurs : la moyenne des dessins présentés tourne autour de 20 000 euros, dont un tiers à moins de 15 000 euros.

Trop à l’étroit dans le mouchoir de poche du salon Hoche, un brin excentré, le Salon du dessin aspirait depuis longtemps à une meilleure visibilité. L’École nationale supérieure des beaux-arts, qui possède au demeurant une fabuleuse collection de dessins anciens, était un des premiers écrins convoités. Après deux ans de négociation, le Salon a trouvé de nouveaux pénates, à la hauteur de ses espérances : le palais Brongniart, autrement dit la Bourse. Le nouvel espace permet une présentation plus aérée et l’arrivée de cinq nouveaux exposants. On pourrait craindre la perte d’un certain esprit intimiste et feutré dans cet édifice palatial. Mais qu’on ne s’y méprenne pas ! Le salon ne dérogera pas à sa formule du « small is beautiful » en se limitant chaque année à trente exposants.
À un jet de pierres de Drouot, qui fait coïncider ses ventes de dessins avec la manifestation, proche des marchands qui organisent un rituel salon off, bref au cœur du Paris des affaires, le Salon du dessin s’ouvre dans une (trop ?) grande frénésie. Les années précédentes, la multiplication des événements, plus parasites que complémentaires, frisait parfois l’indigestion.
Les marchands préparent un an à l’avance leur escarcelle. Cette année risque de s’avérer rude. Malmenés par la crise, certains avouent avoir peu acheté pour ménager leur trésorerie et ne pas surcharger un stock qu’ils peuvent difficilement écouler. On repère quelques redites comme le Départ des conscrits le 2 février 1807 de Louis-Léopold Boilly adjugé 283 250 euros dans la vente Schumann en septembre 2003 chez Christie’s. Ce dessin présenté par la galerie Emmanuel Moatti est d’une belle fraîcheur et surtout d’une dimension rare dans l’œuvre de l’artiste. De même, on retrouve chez Jean-Luc Baroni le portrait de profil d’une Tahitienne acheté en mars dernier pour 1,3 million d’euros chez Piasa.  « On a toujours du mal à réunir des pièces. Un salon, c’est loin d’être facile à préparer.
La seule chose que je trouve dangereuse, c’est que certains se disent en sortant qu’ils ont vu trop de dessins alors que la majeure partie de ce qu’on y voit est très rare. Sur mon stand l’an dernier, 80 % des pièces auraient fait la gloire de n’importe quel musée. 60 % se retrouvent d’ailleurs dans
les musées aujourd’hui », déclare François Borne qui prévoit cette fois une trentaine de feuilles, une année ni maigre ni grasse. Réputé pour ses accrochages serrés dans une symphonie de correspondances savantes, François Borne propose un joli dessin de ruines de Giovanni Paolo Panini. Acheté dans une vente suédoise en décembre dernier, ce dessin provient de la collection de Pierre-Jean Mariette, un des plus grands amateurs du XVIIIe siècle. Une des curiosités du salon sera indéniablement une grande feuille de l’école de Fontainebleau représentant une allégorie des saisons. Proposé par la galerie Didier Aaron, ce dessin anonyme au trait soigné, parcouru d’un étrange lavis fuschia, fera indéniablement sensation ! Jean-Luc Baroni présente en avant-première certaines pièces de son exposition rituelle à New York. Dans la trentaine de feuilles présentées,
on repère une huile sur papier de Guido Reni, œuvre de jeunesse dans laquelle on ressent l’influence conjointe des Carrache et du Parmesan. Jean-Luc Baroni fut dans les années 1980 un des rares galeristes à présenter des huiles sur papier, alors boudées par ses collègues. Si ce grand marchand a forgé sa réputation dans les dessins des XVIe et XVIIe siècles, il avoue s’ouvrir davantage vers les XIXe et XXe. « Avant, sur cinquante-cinq dessins, il y en avait quarante d’anciens. Maintenant c’est
la moitié. On doit évoluer », confie Jean-Luc Baroni.
Le XIXe, siècle de toutes les modernités, est de plus en plus visité par les marchands. Certains comme Chantal Kiener ou Patrick Derom en ont fait leur spécialité. Antoine Laurentin, un des très bons galeristes de la rue Sainte-Anne, présente une vue du port d’Ostende de Gustave Courbet, un fusain de taille d’autant plus spectaculaire que les dessins de l’artiste, excessivement rares, sont aussi souvent de petite dimension. Depuis l’an dernier, le XXe siècle fait une entrée, encore timide, au salon. La galerie Berès avait déjà essayé l’an dernier d’apporter un petit bol de fraîcheur avec de beaux dessins de Léger et Miró. Nouvelle recrue, la galerie de la Présidence propose une sélection d’aquarelles de voyages d’Albert Marquet, écho décoratif d’un one-man show organisé voilà six ans à
la Biennale des antiquaires. Le choix est d’autant plus opportun que l’intérêt pour Marquet est grandissant. Pour preuve l’exposition que lui consacrera le musée Carnavalet à l’automne. La galerie anglaise Dickinson, qui avait l’an dernier frappé les esprits avec un florilège d’œuvres d’extrême qualité, dont un très rayonnant Miró de 1942, prévoit cette année une moisson de pièces de charme destinées à un public plus français. On verra donc un beau fusain de Picasso de 1900 représentant un homme assis et un très émouvant pastel de Vuillard. Bien qu’elle dispose aussi d’une section plus contemporaine, la galerie n’envisage pas de dessins postérieurs à la Seconde Guerre mondiale. « Je ne crois pas que le Salon du dessin soit prêt pour les années 1960-1980 », avoue Marie-Lucie Bisiaux, associée de la galerie en France. Le moderne poursuit son infiltration, mais à doses homéopathiques.

- 13e Salon du dessin, PARIS, place de la Bourse, IIe, tél. 01 45 22 08 77, www.salondudessin.com, 17-22 mars. - La « Semaine du dessin » , 15-21 mars. Y participent les musées de la Ville de Paris (Bibliothèque historique de la Ville de Paris, musée Bourdelle, musée Carnavalet, musée Cognacq-Jay, Maison de Victor Hugo, Mémorial du maréchal Leclerc de Hauteclocque), Bibliothèque nationale de France (cf. pp. 92-93), musée Condé, fondation Custodia, École nationale supérieure des beaux-arts, musée Jacquemart-André, musée du Louvre (cf. pp. 90-91), musée d’Orsay, Centre Georges Pompidou, Muséum national d’histoire naturelle. Renseignements : 01 45 22 61 05.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°556 du 1 mars 2004, avec le titre suivant : Le Salon du dessin coté en Bourse

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