Le retour en grâce des années 1980

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 4 décembre 2007 - 741 mots

Après avoir été boudées par les collectionneurs, les eighties contre-attaquent. Les prix des artistes de cette décennie ne rivalisent toutefois pas avec ceux des chouchous de l’art contemporain.

Si les années 1970 furent porteuses d’utopie, la décennie suivante fut emblématique du capitalisme cliquant et de l’individualisme cynique des années Ronald Reagan. En matière artistique, les eighties voient émerger à New York une génération de peintres au lyrisme débridé. Après avoir été mis sur la touche lors de la crise de 1991, ces fringants quinquas reviennent à la charge sur le marché.

Le cas Schnabel
L’Américain Julian Schnabel a connu une grandeur et décadence digne d’un grand monarque. De 1980 à 1988, ce peintre aussi exhibitionniste que mégalo est le chef de file de ces nouveaux peintres. Chargées de signes et d’objets, notamment de fragments d’assiettes cassées sur le modèle de Gaudí, ses toiles jouent sur la fragmentation de l’espace pictural.
C’est avec Schnabel que le couperet fut le plus sévère dans les années 1990. Sans doute parce qu’à lui seul il incarnait les excès. Depuis trois ans, ses prix progressent lentement mais sûrement. Le prix du tableau La Voz de Anonio Molina a presque doublé en un an. Vendu pour 65 600 euros chez Christie’s en mai 2004, il a été adjugé l’année suivante pour 114 500 euros. Certaines œuvres prétendent même à quelque 300 000 euros. Boudé un temps par les collectionneurs, Schnabel est l’un des rares artistes de cette période à avoir joui de l’appui continu des institutions.
Eric Fischl a sans doute moins souffert des vicissitudes du marché. Jonglant entre réalisme et expressionnisme, ses compositions sourdent souvent d’une menace inquiétante. Dans ses scènes de plage ou d’intérieur où se meuvent des personnages nus, on devine le calme avant la tempête. La vente de la collection Pierre et Marianne Nahon chez Sotheby’s en 2004 proposait un portrait très caustique d’une famille de collectionneurs. Invendu en 2000 sur une estimation de 54 500 euros, le tableau est parti pour 153 600 euros à l’issue de son second passage en vente. Le record de 1,3 million d’euros a été enregistré l’an dernier par Christie’s pour Dady’s girl, un tableau aussi ambigu que dérangeant montrant un homme nu allongé sur un transat et tenant entre ses bras une fillette.

Les déboires de Longo
Robert Longo occupe une place à part dans cette constellation. Soutenu mordicus par la galerie new-yorkaise Metro Pictures, l’artiste a développé un graphisme froid et hyperréaliste. Dans les années 1980, ses dessins au fusain noir représentaient des yuppies désarticulés sur fond blanc. Baptisée Men in the cities, cette série sur l’aliénation dans le monde contemporain se négociait entre 24 000 et 34 000 euros en 1989. En vente publique, les prix atteignirent même les 102 000 euros avant de s’effondrer. Une réhabilitation est en cours. Sur la foire Art Basel Miami en 2005, Metro Pictures a ainsi cédé pour 48 000 euros un dessin représentant la calotte lunaire. Aujourd’hui, les grands dessins s’échangent entre 68 000 et 102 000 euros.
Les eighties ne furent toutefois pas seulement l’ère du tout peinture. Certains comme Haim Steinbach, présenté jusqu’au 5 janvier par la galerie Laurent Godin, ont même développé une œuvre conceptuelle très forte. Associé au groupe Neo-Geo lancé en 1982 dans l’East Village par Peter Halley et Ashley Bickerton, le travail de Steinbach se compose d’arrangements d’objets disposés sur des étagères ou présentoirs. Ces dispositifs créent une narration cachée. Le principe de l’étagère transforme aussi l’objet de consommation en objet d’art. En octobre dernier, une de ses étagères datant de 1990 s’est adjugée pour 86 000 euros chez Phillips.
Comment peut-on expliquer ce regain d’intérêt pour les eighties ? Est-ce imputable au retour en force de la peinture ? Cette nouvelle faveur s’explique plutôt par la cote très élevée des artistes actuels. Acheter aujourd’hui un Schnabel coûte moins cher que de plus jeunes artistes comme Neo Rauch.

Repères

- Julian Schnabel (né en 1951). Cet artiste proclama le retour à la peinture à la fin des années 1970 en s’adonnant à une Bad Painting défiant les codes du bon goût. - Eric Fischl (né en 1948). Chez Fischl le quotidien est troublant. Ses compositions où s’agglutinent des corps nus créent un malaise. Le sexe rôde autant que la mort et une sourde violence. - Haim Steinbach (né en 1944). Il annule les hiérarchies entre les objets trouvés dans le commerce en les alignant sur une étagère. Celle-ci devient socle, anoblissant forcément ce qui s’y trouve. Quand le fétiche de la consommation rejoint celui de l’esthétique.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°597 du 1 décembre 2007, avec le titre suivant : Le retour en grâce des années 1980

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