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Le Musée d’art et d’archéologie de Besançon

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 21 novembre 2018 - 1316 mots

BESANCON

Le plus ancien musée de France rouvre ses portes au public, faisant entrer de plain-pied ses chefs-d’œuvre dans le XXIe siècle.

C’était un chantier très attendu des Bisontins. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours que le plus ancien musée français fait peau neuve. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le Louvre n’est en effet pas le doyen. À un an près, le Musée de Besançon a même ouvert un siècle avant le Muséum central ! L’aventure passionnante de ce lieu débute sous le règne de Louis XIV. En 1694, Jean-Baptiste Boisot, abbé de Saint-Vincent, confie ses collections aux Bénédictins à la condition qu’elles soient mises à la disposition du public. Il ne s’agit pas d’un vœu pieux, car l’homme d’Église assortit son legs de l’obligation d’ouvrir la collection à des horaires réguliers. Ce fonds est en grande partie l’héritier du prestigieux ensemble de livres et d’œuvres d’art ayant appartenu à la famille de Granvelle, une puissante dynastie, indissociable de Besançon. Le patriarche, Nicolas, était, excusez du peu, le garde des Sceaux de Charles Quint. Tandis que son fils, Antoine, était cardinal, vice-roi de Naples et un proche conseiller de Philippe II d’Espagne.

À l’époque, Besançon ne faisait pas partie du royaume de France, mais était la vitrine et le bouclier du Saint Empire romain germanique. Évidemment, cette position géopolitique et les charges occupées par les Granvelle ne pouvaient que se traduire par une recherche de prestige et de munificence par les arts. Mécènes et collectionneurs, les Granvelle forment ainsi à leur insu la première collection qui sera ouverte au public en France. Dans un esprit typique des cabinets de l’époque, les peintures et les sculptures du legs Boisot viendront ensuite orner la salle de la bibliothèque de l’abbaye Saint-Vincent. L’idée étant de réunir tous les objets de savoir et de délectation dans un même lieu. Ce musée-bibliothèque accueille de nombreux visiteurs deux après-midi par semaine pendant près d’un siècle, jusqu’à la Révolution.

De l’abbaye à la halle aux grains

Le musée est alors brusquement démantelé et ses collections, augmentées de saisies révolutionnaires, sont dispersées entre plusieurs bâtiments publics et religieux jusqu’en 1843. Cette année-là, elles investissent un site pour le moins inattendu : la nouvelle halle aux grains bâtie par Pierre Marnotte. Aux yeux de la municipalité, cet édifice offre plusieurs avantages. Il possède de vastes surfaces idoines pour accueillir, enfin, les envois de l’État et il occupe une position centrale dans la cité. Mais, par-dessus tout, son architecture néoclassique sied parfaitement à la vocation de temple des arts ; même si pendant quelques années les œuvres doivent cohabiter avec un gymnase municipal, une salle de bal et même un marché à la criée ! En 1849, l’arrivée d’importants fonds d’archéologie, provenant essentiellement des fouilles de sociétés savantes travaillant sur l’antique Vesontio et les nécropoles mérovingiennes, change la donne et la halle est entièrement dévolue à l’activité muséale.

Musée de collectionneurs, le site a dès l’origine vu de bonnes fées favoriser sa destinée, les libéralités d’une succession de donateurs aussi généreux qu’avisés en ont d’ailleurs fait l’un des plus riches musées de province. Parmi ses nombreux bienfaiteurs, quelques-uns ont particulièrement façonné sa physionomie, à l’image de Pierre-Adrien Pâris. L’architecte des Menus-Plaisirs de Louis XVI a ainsi légué à sa ville natale des milliers de dessins ainsi qu’un ensemble de peintures de ses contemporains, dont les célèbres Chinoiseries de Boucher, mais également les tableaux intimes d’Hubert Robert, les panneaux de Fragonard et de Marguerite Gérard qui sont de formidables témoignages de l’œuvre de ses camarades.

En 1840, plus surprenant, c’est le général baron François-Xavier Donzelot qui lègue une série de tableaux napolitains pour « soulager sa conscience ». Ces œuvres, dont les fameux Enfers de François de Nomé, étaient en effet un butin de guerre ramené par cet officier de la Grande Armée napoléonienne. Mais l’enrichissement le plus spectaculaire et le plus méthodique est sans conteste celui de Jean Gigoux (1806-1894). Cet artiste romantique qui connut son heure de gloire au Salon employa une grande partie de son temps et de son argent à doter sa ville d’une collection exceptionnelle par sa qualité, mais aussi par son originalité. Entre son legs et ses multiples donations, ce sont ainsi près de cinq cents tableaux et trois mille dessins qui entrèrent au musée : des plus classiques (Titien, Bellini, Vouet) aux plus audacieux, comme les scènes de cannibalisme de Goya ou l’étrange portrait réalisé par Ingres en « camaïeu chocolat », selon la formule de Huysmans.

La dernière grande libéralité sera la donation George et Adèle Besson. Ce couple, ami d’artistes majeurs du XXe siècle dont Bonnard, Matisse et Marquet, fit en effet don de plus de cent tableaux à la condition que l’établissement se dote d’espaces dignes de leur cadeau. C’est cette générosité qui est à l’origine du réaménagement du musée en 1967 par Louis Miquel, le disciple du Corbusier, et de l’érection de son emblématique structure en béton brut au cœur de la halle.

Un musée du XXIe siècle 

Un demi-siècle après le chantier de Miquel, le MBAA entre de plain-pied dans la modernité, tout en gardant sa singularité. Le site a été mis aux normes, rénové, et les surfaces d’exposition agrandies grâce à l’externalisation des bureaux et des réserves. Parallèlement, la forêt de cimaises qui avait progressivement cloisonné l’espace a été élaguée, tandis que la toiture et les baies ont été rouvertes afin de faire largement entrer la lumière naturelle. Résultat : un parcours fluidifié, lumineux et considérablement enrichi. Le musée présente en effet plus et mieux. L’égyptologie bénéficie désormais d’un emplacement spécifique, et la présentation obsolète de l’archéologie a été totalement repensée par Adelfo Scaranello selon un efficace parti pris esthétisant. Les beaux-arts ont quant à eux été totalement redéployés selon une logique transversale et ont bénéficié d’une exceptionnelle campagne de restauration, ayant notamment permis de redécouvrir des pépites de Van Orley, Vignon et Courtois.

 

Les Cranach de Gigoux

Parmi les fonds remarquables qu’abrite le musée, les tableaux de Lucas Cranach tiennent une place particulière. Ces cinq œuvres du peintre allemand de la Renaissance constituent en effet la première collection française après celle du Louvre. En les achetant au XIXe siècle, Jean Gigoux a eu du flair, car Cranach n’était pas alors une star consacrée. Tour de force supplémentaire, Gigoux a même réussi à faire revenir à Besançon deux magnifiques nus, Adam et Ève, ayant appartenu à la famille Granvelle.

 

Félix Vallotton,"Baigneuse assise sur un rocher"

Avec les tableaux de Bonnard, la Baigneuse de Vallotton constitue l’une des pièces maîtresses de la donation George et Adèle Besson. Emblématique de la production inclassable du Suisse, cette œuvre dégage un sentiment d’étrangeté et une sensualité ambiguë. Cette baigneuse, mêlant des références à Ophélie et Andromède, semble assise sur un rocher relié au rivage par un banc de sable ; mais ce dernier est en réalité une anamorphose de sa nuque, et le rocher une sorte de prolongement de sa chevelure.

 

Bronzino, "Déploration sur le Christ mort"

Chef-d’œuvre absolu du musée, ce grand retable est l’un des plus beaux tableaux maniéristes conservés en France. Il a été réalisé pour orner la chapelle ducale du palais de la Seigneurie à Florence ; mais, à peine accroché, Cosme Ier de Médicis décide finalement de l’offrir à Nicolas de Granvelle. Un cadeau grandiose aux motivations éminemment politiques, car, en honorant de la sorte le garde des Sceaux de Charles Quint, les Médicis envoient en réalité un message à leur protecteur Habsbourg.

 

Le Taureau d’Avrigney

Le taureau d’Avrigney est assurément l’objet archéologique le plus célèbre du musée. Cette superbe sculpture en cuivre gallo-romaine a été mise au jour en 1756 lors d’un labour en Haute-Saône. Elle a immédiatement été considérée comme une pièce majeure en raison de son état de conservation remarquable, de sa finesse d’exécution, mais surtout de l’originalité de son sujet. Cet animal traité de manière extrêmement réaliste, mais doté de trois cornes, incarnerait en effet une puissance surnaturelle.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°718 du 1 décembre 2018, avec le titre suivant : Le Musée d’art et d’archéologie de Besançon

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