Design

Le design français en quête de légitimité

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 14 mai 2018 - 696 mots

PARIS

La galerie Pascal Cuisinier a trouvé un argument percutant pour convaincre ses clients : leur proposer des pièces dont une jumelle à chaque fois est conservée dans un musée.

Paris. Pascal Cuisinier est un défricheur. Depuis l’ouverture de sa galerie en 2006, il met en lumière la génération des premiers designers français dont les créations ont été conçues entre 1950 et 1961. Parmi eux, Pierre Paulin, Joseph-André Motte, René-Jean Caillette, Pierre Guariche ou encore André Monpoix. Il organise au moins deux expositions par an – monographiques ou thématiques – dans sa galerie parisienne de la rue de Seine. Pour sa dernière présentation, il a fait le pari de présenter dans son espace des pièces de sa collection qui ont pour principale caractéristique d’avoir un double conservé dans un musée. « C’est un marché que je construis pas à pas, explique l’intéressé, et je suis toujours en recherche de légitimité pour ces designers. Vis-à-vis d’une clientèle qui se pose des questions sur ces créateurs méconnus qui n’ont pas été publiés, sur les prix de leurs pièces, c’est une manière de les rassurer en leur disant : regardez, une grande partie de ceux que je défends sont dans les musées ! »

Des institutions à l’avant-poste

Les institutions publiques, loin d’ignorer la première époque du design français, s’y sont intéressées précocement. Dès 1968, le Musée des arts décoratifs de Paris organise « Les assises du siège contemporain », l’une des premières expositions consacrées au design et notamment à cette génération de créateurs. Autre coup de projecteur décisif, l’exposition « Mobi Boom, l’explosion du design en France 1945-1975 », s’est tenue en 2010-2011, toujours aux Arts décoratifs de Paris.

Malgré cet intérêt croissant pour un marché en plein essor, les créations de cette génération sont peu présentes dans les collections publiques françaises. Seuls le Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, le Musée des arts décoratifs de Paris (MAD), le Musée d’art moderne et contemporain (MAMC) de Saint-Étienne ainsi que le Cnap (Centre national des arts plastiques) en conservent – et encore, les pièces se trouvent pour l’essentiel dans les réserves et non dans les collections permanentes. Aussi, Pascal Cuisinier a décidé de les faire sortir de l’ombre, dans une scénographie très « muséale », adaptée au thème. Les meubles sont présentés de manière sobre sur un socle architectural, comme des œuvres d’art à part entière, sans mise en scène. « J’ai essayé de faire le moins de décoration possible. » Astucieusement, de grands cartels accompagnent chacune des pièces et donnent au visiteur – fait suffisamment rare en galerie pour être souligné – les informations détaillées sur celles-ci ainsi que la fiche d’inventaire de la pièce jumelle conservée dans un musée. Au total, ce sont une quarantaine de luminaires, sièges et meubles qui ont été rassemblés, pour des prix allant de 1 500 à moins de 200 000 euros. Mais depuis l’ouverture de l’exposition, le 30 mars, une dizaine d’éléments de mobilier ont déjà trouvé preneur. « J’ai vendu une partie des pièces phares. Un très grand collectionneur en a emporté plusieurs, se réjouit le galeriste. L’exposition, contrairement à d’autres par le passé, est un véritable succès ! »

Parmi les ventes figurent des pièces mythiques dont moins de 10 exemplaires sont connus dans le monde, ainsi de la chaise longue Vallée blanche, 1962, de Guariche, en métal chromé dont un double existe au Centre Pompidou, ou du fauteuil Triennale et son repose-pieds (1959), de Michel Mortier, présenté à la 12e Triennale de Milan – d’où son nom – et dont le frère est au MAMC de Saint-Étienne. Autres meubles cédés, la coiffeuse Martine (1962), de Caillette, en palissandre de Rio, dont le MAD possède un double, et le fauteuil Soleil (1956), d’Abraham & Rol, en rotin, également dans le même musée.

De nombreuses pièces sont encore à saisir comme l’emblématique Lampadaire G23 (1951), de Guariche, le seul à double balancier à l’époque – son jumeau figurant dans les collections du Cnap, mais aussi l’Enfilade 802 (1957), d’Alain Richard, en palissandre de Rio dont le double est au MAD, ainsi que la Chauffeuse 151 (1954), d’André Monpoix, en métal laqué et isogaine, présente également au MAD.

Collections publiques - Design français/1951-1961, jusqu’au 19 mai, Galerie Pascal Cuisinier, 13, rue de Seine, 75006 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°501 du 11 mai 2018, avec le titre suivant : Le design français en quête de légitimité

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