L’autre or de l’Eldorado

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1996 - 642 mots

En même temps que l’or, les conquistadores envoyèrent à la cour d’Espagne quelques objets indigènes. Albrecht Dürer eut l’occasion de les voir et les admira, mais il fut sans doute l’un des rares dans ce cas : ces curiosités, alors sans valeur, n’offraient qu’un bien mince intérêt en comparaison du précieux métal...

Si les choses ont changé depuis, l’art préhispanique – nous utilisons ce terme plutôt que celui de précolombien, qui peut prêter à confusion en évoquant la Colombie et non Christophe Colomb –, n’en demeure pas moins relativement confidentiel. À cela plusieurs raisons, que résume Santo Micali, spécialiste en la matière : "Ce ne sont pas des objets que l’on expose chez soi pour épater ses relations. Par ailleurs, on n’en trouve que peu sur le marché, et les pièces exceptionnelles sont encore plus rares."

Pourtant, l’art préhispanique couvre un domaine spatio-temporel très vaste. Sa "zone de production" recouvre en effet le sud des États-Unis et tout le continent latino-américain. Chronologiquement, la production s’étend sur plus de trois millénaires, de 2000 av. J.-C. à 1521 ap. J.-C. Mais ne circule sur le marché qu’une très faible proportion des œuvres créées. Le durcissement des législations des États d’origine en est la cause : jusqu’au début des années soixante-dix, un régime libéral autorisait les exportations ; depuis, les exportations ont été interdites, et le marché ne s’alimente plus que des œuvres sorties antérieurement. Les services fiscaux et douaniers assurent une "police" efficace qui rend les fraudes quasi impossibles du fait de la gravité des risques encourrus.

Par ailleurs, l’art préhispanique demeure l’apanage d’amateurs véritables, peu enclins à la spéculation : une œuvre entrée dans une collection y demeure souvent jusqu’au décès de son propriétaire, et ses héritiers la conservent parfois. Conséquence de cette stabilité, il y a peu de ventes publiques. Les plus importantes, celles qui servent de référence, se déroulent en mai et en novembre à New York, généralement chez Sotheby’s, Christie’s se montrant peu enclin à développer cette spécialité. Londres l’ignore, tandis que les vacations françaises sont surtout riches d’objets secondaires, ceux que Sotheby’s relègue habituellement dans la "Part II" de ses catalogues.

En revanche, souvent d’origine américaine ou européenne, les amateurs sont nombreux. Dans l’ensemble, ils tendent à constituer des collections très spécialisées, soit à partir de matériaux (les Français se montrent ainsi friands d’objets en pierre), soit à partir d’une époque ou d’une origine précises, le choix dépendant pour une large part de la sensibilité de chacun. Mais un objet exceptionnel peut bien évidemment conduire à franchir les limites de ces cadres si précis.

S’agissant de pièces d’archéologie, on admet un état de conservation imparfait : très logiquement, plus la pièce est rare et moins son état a d’importance. Notons cependant qu’une terre cuite recollée ne perd que peu de valeur, tandis que celle d’un objet "composite" (par exemple la réunion d’une tête et d’un corps issus de deux pièces différentes) se verra fortement diminuée ; il en ira de même pour un objet "complété" lors d’une restauration.

Souci légitime des amateurs débutants, les faux sont peu nombreux. Plus exactement, ils ne résistent pas à l’examen effectué par un spécialiste compétent.

Pour en savoir plus:

La documentation sur le sujet est principalement écrite en langue espagnole ou anglaise. En français, on se référera aux ouvrages de J. Soustelle ou G. Berjonneau. On pourra aussi consulter avec profit le catalogue de l’exposition "Trésors du Nouveau Monde" (à Bruxelles en 1992). Deux experts à Paris : J. Blazy et B. Dulon. Deux galeries à Paris : la Galerie des Amériques et la Galerie Mermoz. Une galerie à Bruxelles : la Galerie Emile Detaille. Leurs adresses figurent dans le Guide du marché de l’art publié par Le Journal des Arts. Les prix relevés sur la liste ci-dessous concernent des adjudications prononcées à Paris et à New York au cours des dix-huit derniers mois.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : L’autre or de l’Eldorado

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