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L’Art nouveau au cœur de l’identité belge

Par Marie Potard · L'ŒIL

Le 27 janvier 2021 - 972 mots

Avec ce mouvement novateur, le jeune pays qu’est la Belgique se forge une véritable identité dans les arts décoratifs face à la France, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Autriche. Un moment d’intense rayonnement.

Expertises -  Né en réaction contre les dérives de l’industrialisation à outrance et la reproduction inlassable des anciens styles, l’Art nouveau a connu un développement international à partir de la fin du XIXe, révolutionnant l’architecture et donnant leurs lettres de noblesse aux arts décoratifs. Caractérisé par la ligne courbe, le mouvement renouvelle le vocabulaire artistique en se tournant vers d’autres sources d’inspiration, telles que la nature ou le Japon. En Belgique, la date clé de l’éclosion de ce nouveau style est 1893, lorsque Victor Horta construit l’hôtel Tassel à Bruxelles, œuvre d’art total considérée comme le premier bâtiment Art nouveau. « Cette création porte en elle tous les germes du nouveau courant », indique Benjamin Zurstrassen, conservateur du Musée Horta à Bruxelles.

Héritiers de différents courants, notamment du mouvement anglais Arts & Crafts, souvent guidés par des idéaux sociaux, les créateurs du moment vont rompre avec les standards du passé et jeter les bases du design du XXe siècle, prônant l’alliance du beau et du fonctionnel. Pour les arts décoratifs, cinq noms dominent : les pionniers Horta, connu pour sa célèbre ligne « en coup de fouet », et Henry van de Velde, dont la ligne est plus ferme et nerveuse. Il y a aussi Gustave Serrurier-Bovy, qui ambitionne de créer des pièces accessibles au plus grand nombre, peu coûteuses, Paul Hankar et le bijoutier Philippe Wolfers. Viennent ensuite d’autres figures – moins renommées – comme Georges Hobé, Léon Ledru ou encore Fernand Dubois et Paul Du Bois. Tous, plus ou moins, prendront part aux deux périodes de l’Art nouveau : la première, héroïque, s’échelonne entre 1893 et 1902, tandis que la seconde s’étale de 1902 à 1914, moment où le mouvement se recycle dans un style plus conventionnel.

Si l’Art nouveau belge et l’Art nouveau français ont émergé simultanément, « en Belgique, il est d’abord un mouvement architectural. À part Van de Velde qui est peintre, ses représentants sont tous architectes. Par exemple, le mobilier de Serrurier-Bovy est très architectural », note Benjamin Zurstrassen. « Il est aussi plus raffiné, plus authentique », estime Oscar Graf. À cela s’ajoute une production plus restreinte du fait de la petite taille du pays, donc recherchée. Quant aux marchands spécialisés, ils ne sont guère plus de deux : le Belge Yves Macaux et le Français Oscar Graf.

QUESTIONS À… YVES MACAUX (BRUXELLES) ET OSCAR GRAF (PARIS, LONDRES)


Comment se porte le marché de l’Art nouveau Belge ?
Y. m.  - Comme pour presque tous les marchés, il y a une vraie dichotomie entre les pièces courantes et les pièces exceptionnelles, et si ces dernières sont de plus en plus recherchées, les premières n’ont plus de marché. À noter que d’importantes expositions ont eu lieu ces dernières années (Van de Velde à Bruxelles et à Weimar, Serrurier à Liège) ainsi que plusieurs publications de monographies. 

Quelle est la fourchette de Prix ?
Y. m.  - De 10 000 ou 20 000 € jusqu’à 500 000 €. Les prix varient selon l’importance historique, la provenance d’un commanditaire ou d’un collectionneur illustre, tel le lustre de Serrurier-Bovy de l’ancienne collection Pierre Bergé-Yves Saint Laurent vendu 17 500 € en 2018 chez Sotheby’s, et… la beauté.

Que recherchent les Collectionneurs ?
O. g.  - Ils recherchent avant tout la crème de la crème. Des objets avec provenance, dans un bon état d’origine et ayant un intérêt historique dans le cadre du mouvement. Il y a un engouement énorme, aussi bien privé qu’institutionnel, pour les objets importants et 100 % authentiques.
 

Autour de 50 000 €

1. Galerie Yves Macaux (Bruxelles) Ce fauteuil a été réalisé pour l’hôtel Aubecq, l’hôtel particulier de style Art nouveau conçu entre 1900 et 1904 par Victor Horta avenue Louise, à Bruxelles, pour l'industriel Octave Aubecq – détruit en 1950, mais la façade a heureusement été conservée. Plusieurs fauteuils similaires sont conservés, notamment au Musée Horta à Bruxelles. « Chez Horta, il y a un surgissement soudain, dont le Japon et les théories de Viollet-le-Duc sont les deux sources fondamentales », explique le conservateur Benjamin Zurstrassen.


Pièce de musée

2. Musées royaux d’art et d’histoire (Bruxelles) Faisant partie d’une paire, ce candélabre appartient aux collections du Musée du Cinquantenaire. Il en a fait l’acquisition lors du salon bruxellois de La Libre esthétique, en 1900. Chef-d’œuvre absolu, ce modèle est « l’objet 1900 par excellence », note Oscar Graf. Les créations de Van de Velde sont les plus onéreuses du marché, car recherchées à la fois par une clientèle belge et allemande – il fera carrière en Allemagne durant une quinzaine d’années. Une banquette provenant d’un intérieur commandé à Van de Velde à Berlin par le banquier Julius Stern a été adjugée 98 000 € chez Sotheby’s New York en 2005.


60 000 €

3. Galerie Oscar Graf Seul exemplaire connu, ce vase est une pièce typiquement Art nouveau de Serrurier, qui, dès 1903, abandonne les lignes courbes pour celles plus géométriques, dans un style précurseur du Bauhaus et de l’Art déco. Le vase mêle ses métaux de prédilection, le fer battu et le cuivre. Des quatre noms qui dominent, il est le créateur qui a le plus produit, et de loin.


Autour de 50 000 €

4. Galerie Yves Macaux Ce tabouret a été réalisé pour le magasin de la Compagnie générale des céramiques d’architecture. Il a été exposé lors de l’exposition organisée en 2005 aux Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, intitulée « Art nouveau et design, Les Arts décoratifs de 1830 à l’Expo 58 ». Une pièce similaire se trouve au Los Angeles County Museum of Art. Paul Hankar, qui a lui aussi construit sa propre maison en 1893 (rue Defacqz), est mort très tôt, en 1901. Sa production est donc extrêmement rare et par conséquent très recherchée.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°741 du 1 février 2021, avec le titre suivant : L’Art nouveau au cœur de l’identité belge

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