L’art contemporain reste imprévisible

Les ventes de Londres ont été marquées par les choix de Charles Saatchi

Par Roger Bevan · Le Journal des Arts

Le 29 août 2003 - 969 mots

Les dernières ventes d’art contemporain de la saison, à Londres, ont encore ravivé la concurrence que se livrent Sotheby’s et Christie’s. Les deux maisons ont obtenu de beaux résultats, mais le marché reste toujours imprévisible. Si la cote de Jenny Saville marque le pas, Charles Saatchi regonfle les voiles de Marlene Dumas.

LONDRES - Les maisons de ventes aux enchères Sotheby’s et Christie’s revendiquent toutes deux un léger avantage à l’issue de la bataille livrée à Londres à l’occasion des dernières ventes d’art contemporain de la saison. Le 25 juin, Sotheby’s a obtenu un très beau résultat – quoique avec un chiffre d’affaires plus modeste –, et ce grâce à la vente de 42 des 49 lots proposés (86 %). La soirée suivante, Christie’s a généré des revenus légèrement plus élevés, malgré le manque d’empressement de la clientèle manifestement insensible à 16 des 47 lots (66 %) – les lots 5, 12 et 32 avaient été retirés avant la vente. La société a néanmoins obtenu le prix record de la semaine lorsqu’un enchérisseur asiatique anonyme a décroché par téléphone le lot reproduit sur la couverture du catalogue, Bolsena de Cy Twombly, pour 1 573 250 livres sterling (2,28 millions d’euros, est. 1,4 à 1,8 million de livres). Cette performance doit malgré tout être relativisée car la galerie new-yorkaise Grant Selwyn Fine Art proposait la toile, propriété des collectionneurs de Dallas, Robert et Marguerite Hoffman, pour 5 millions de dollars avant de l’offrir aux enchères. Le nouvel acquéreur peut ainsi se réjouir d’avoir fait une affaire.

Nouveau record pour Lucio Fontana en vente aux enchères
Chez Sotheby’s, un exemple particulièrement réussi de la série de toiles ovoïdes perforées et signées Lucio Fontana, La Fine di Dio (lot 15, est. 650 000 à 850 000 livres), s’est révélé le lot le plus onéreux de la soirée à 1 377 600 livres (1 968 751 euros) et a été décroché par le marchand de San Francisco Anthony Meier. En livres sterling, ce montant talonne de près le record du peintre en vente aux enchères, 1 381 650 livres (1 974 609 euros) pour Concetto spaziale, il cielo de Venezia cédé chez Sotheby’s à Londres le 26 juin 2002 ; converti en dollars, ce prix devient le record de l’artiste en vente aux enchères. Une autre version de cette série, parsemée de paillettes, avait seulement obtenu 789 600 livres (1 128 470 euros) chez Sotheby’s à Londres le 6 février 2003.
L’Astrup Fearnley Museet for Moderne Kunst, le musée privé situé dans les locaux d’Oslo de la société de courtage de navires des frères Hans Rasmus et Halvor Astrup, avait confié deux tableaux pour cette vente : Seahorse de Gary Hume (lot 4, est. 50 000 à 70 000 livres), acquis par un enchérisseur au téléphone pour 69 600 livres (100 000 euros), et le Grasshopper de Peter Doig (lot 7, est. 120 000 à 150 000 livres), acquis pour 229 600 livres (333 259 euros) par la galeriste new-yorkaise Irena Hochmann, enchérissant pour le compte de Charles Saatchi, malgré la concurrence de Peter Simon, propriétaire des magasins de vêtements Monsoon, et de la galerie londonienne Haunch of Venison.
Après la multiplication par six de la valeur de ses œuvres en trente mois, qui a culminé avec le record le 27 juin 2001 de 333 750 livres (476 999 euros) chez Christie’s à Londres atteint par le tableau Branded – ayant appartenu à Saatchi –, la cote de Jenny Saville semble au point mort : les deux peintures réalisées alors qu’elle étudiait à la Glasgow School of Art n’ont pas obtenu le succès escompté. Chez Sotheby’s, un monumental autoportrait de Saville au voile de mariée (lot 5 illustré sur la couverture du catalogue, est. 300 000 et 400 000 livres) a été acheté par les collectionneurs londoniens Ian et Mercedes Stoutzker – qui faisaient ici une rare apparition à une vente – enchérissant contre le prix de réserve, à 319 200 livres (455 797 euros), tandis que Nats (lot 40 reproduit en quatrième de couverture du catalogue, est. 250 000 à 350 000 livres), un plus petit autoportrait de l’artiste juchée sur un tabouret de bar, n’a pas réussi à susciter la moindre enchère chez Christie’s. Mais le marchand new-yorkais Larry Gagosian ayant vendu les six tableaux de la récente exposition de Jenny Saville à des prix équivalents aux estimations du catalogue, cet échec peut être attribué aux attentes trop élevées des vendeurs. Les estimations pour chacune des deux œuvres dépassaient tout simplement la cote des travaux de l’artiste réalisés durant ses années d’études.
Curieusement, les œuvres allemandes les plus onéreuses avaient, une fois n’est pas coutume, échappé aux griffes de Sotheby’s, qui jouissait jusqu’alors d’un quasi-monopole sur le marché lucratif de Gerhard Richter, et ce grâce aux contacts et à l’expertise de ses directeurs de département, Tobias Meyer, à la tête du département sur le plan mondial, et Cheyenne Westphal, à la tête du département en Europe. De Richter, Christie’s proposait la belle composition abstraite Wald (3) (lot 30, est. 700 000 à 1 million de livres), acquise par Rachel Mauro, directrice de la galerie new-yorkaise Dickinson Roundell Inc., pour 789 250 livres (1 142 674 euros), et un tableau abstrait sans titre (lot 26, est. 300 000 à 400 000 livres) que les collectionneurs américains Ben et Linda Frankel ont enlevé pour 397 250 livres (567 748 euros), l’emportant face au marchand new-yorkais Christophe Van der Weghe.

- Soirée d’art contemporain, Sotheby’s Londres, 25 juin Vente par valeur : 92 % Vente par lot : 86 % Total : 8 728 400 livres sterling (12 666 593 euros) - Soirée d’art d’après guerre et d’art contemporain, Christie’s Londres, 26 juin Vente par valeur : 81 % Vente par lot : 66 % Total : 9 319 850 livres (13 525 357 euros)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°175 du 29 août 2003, avec le titre suivant : L’art contemporain reste imprévisible

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque