Monographie

L’allégorie selon Benoît Maire

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2013 - 830 mots

Pour sa première exposition personnelle à Paris, Benoît Maire lance les dés et conjugue différentes disciplines pour mettre sur le tapis les questions du hasard, de l’outil, de la disjonction.

PARIS - Dès réception, le carton d’invitation séduisant et énigmatique, réalisé par Benoît Maire, donne déjà envie de voir son exposition. En outre, celle-ci est sa première présentation monographique à Paris et la deuxième manifestation présentée dans le nouvel espace parisien de la galerie bordelaise Cortex Athletico. Créée fin 2003 par Thomas Bernard, elle soutient l’artiste (né en 1978) depuis ses débuts et l’a montré pour la première fois en 2004.

Sur ce carton donc, on voit un arboriculteur avec son panier dans un joli verger. Mais au lieu de ramasser des pommes, il cueille des dés. Une manière de récolter le hasard et de dire que, si d’un point de vue judéo-chrétien « Le fruit est défendu » (titre de l’exposition), le hasard lui est bien dans le fruit. On ne peut s’empêcher de penser au fameux poème typographique de Stéphane Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Le dé, on le retrouve dès l’entrée de la galerie, d’abord dans une grande sérigraphie, où il est représenté sous deux facettes, l’une rouge, l’autre noire, à côté d’un silex. Puis, il apparaît dans une installation, sous la forme d’un petit cube jaune, posé dans les bris d’une plaque de marbre cassée en fonction de sa veine principale et par hasard bien sûr : on sait bien qu’un coup de dés jamais n’aurait eu une telle conséquence. Mais rien ne se perd avec Benoît Maire, qui sait faire d’un accident un joli coup (de dés) et faire du dé l’auteur du délit.

Un outil est une arme
Ces deux œuvres constituent le premier moment de l’exposition qui en compte en effet plusieurs. À l’exemple d’une drôle d’horloge dont un coin en plexiglas est coupé net. Le temps aussi peut se casser ou générer des ruptures. Un peu plus loin, on découvre une suite d’outils incongrus : l’un se compose d’un niveau à bulle tronqué et prolongé par un coquillage en bronze, un autre d’une tige en cuivre terminée par la coquille ouverte d’une palourde. Des outils vains, pensés comme une allégorie de la mesure et de son impossibilité, l’un des grands thèmes de Benoît Maire. Car pour lui, un outil est une arme : « un instrument qui mesure, détruit ce qu’il mesure puisqu’il le décrypte et perturbe notre relation au monde », précise-t-il.

Sur d’autres murs, une peinture et des photos viennent rappeler que Benoît Maire utilise tous les médiums et qu’il aime disposer ses œuvres de façon disjonctive pour pousser les esthétiques jusqu’à ce qu’elles rentrent en discordance. Il a d’ailleurs intitulé l’investigation qu’il mène depuis quelques années, et notamment sous la forme d’une première publication de textes et d’images en 2011, Esthétique des Différends, en référence aux conflits insolubles entre deux langages évoqués par le philosophe Jean-François Lyotard. Avec ce point commun toutefois qu’est donc l’esthétique, « cet endroit de la philosophie assaillie par l’émotion », comme le définit Benoît Maire. Avec également en toile de fond cette idée du dé qui, par son jeu et son jet, nous ramène en raccourci au point de départ et à cette question : est-il l’outil du hasard ou seulement son expression, sa formulation ? La réponse est peut-être sur l’arbre ou dans le panier.

La cote des œuvres varie évidemment en fonction de la discipline et oscille entre 1 200 euros pour Organon, une petite photo de 34,5 x 26,5 cm, et 16 000 euros pour la grande sérigraphie de l’entrée Deux outils (J) (de 335 x 270 cm éditée à un seul exemplaire). Des prix qui ne doivent rien au hasard si l’on regarde la biographie de l’artiste. Après des études de philosophie, présente dans son travail, et un diplôme national supérieur d’expression plastique à la Villa Arson de Nice, il a indéniablement trouvé sa place, depuis maintenant une dizaine d’années, sur la scène institutionnelle française et européenne. Il a ainsi été en résidence de recherche au Pavillon du Palais de Tokyo en 2005-2006, lauréat du Prix Fondation d’entreprise Ricard en 2010. Plusieurs grandes expositions personnelles lui ont été consacrées, notamment à la Kunsthalle de Mulhouse également en 2010, au Frac Aquitaine et au centre Walden Affairs de La Haye en 2011, à la Fondazione Giuliani de Rome et à la David Roberts Art Foundation de Londres en ce début 2013. Il a également participé à des manifestations collectives à la Tate Modern de Londres et au Centre Pompidou. Enfin, ses œuvres ont été acquises par un nombre certain de collections publiques et privées, nationales comme internationales. Une sorte de Yam’s, en somme, dans le jeu de dés éponyme.

Benoît Maire

Nombre d’œuvres : 11
Prix : entre 1 200 et 16 000 €
Artindex 2013 : 110

Jusqu’au 29 mai, Galerie Cortex Athletico, 12 rue du Grenier Saint-Lazare, 75003 Paris, tél.01 75 50 42 65, www.cortexathletico.com, mercredi-samedi 12h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°391 du 10 mai 2013, avec le titre suivant : L’allégorie selon Benoît Maire

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