Bilan

La vraie reprise se fait attendre

Une année 1994 maussade pour beaucoup

Le Journal des Arts

Le 1 février 1995 - 1011 mots

La Fiac, en octobre, et la Biennale internationale de antiquaires, en novembre, avaient produit des résultats encourageants. Or le marché de l’art, secteur de luxe s’il en est, bénéficie-t-il de la reprise annoncée par les pouvoirs publics ? Rien n’est moins sûr. Les ventes d’art contemporain, dans l’hexagone surtout, sont encore sinistrées. Certains grands antiquaires n’ont constaté aucune augmentation de leur chiffre d’affaires en 1994. Mais le tableau ancien se porte plutôt bien, et l’Art Déco a presque le vent en poupe.

PARIS - Le marché français de l’art contemporain porte encore le deuil de l’époque euphorique des années quatre-vingt. Michel Durand-Dessert n’a constaté aucune amélioration en 1994 par rapport à 1993.

"La situation des galeries se fragilise de plus en plus, au fur et à mesure que les années difficiles s’accumulent," estime-t-il."La structure qui s’était mise en place il y a deux ou trois ans dure encore : un marché destiné uniquement à la clientèle étrangère, avec des grosses pièces à des prix élevés, au-dessus de sept cent mille francs environ, et par ailleurs, un marché pour les seuls Français, avec des œuvres à des prix moindres, en-dessous de cent mille francs en règle générale."

Anne Lahumière, présidente du Comité des galeries d’art, est tout aussi pessimiste."Le gouvernement parle beaucoup de reprise, mais nous sommes les derniers à en bénéficier," déclare-t-elle."L’année dernière, l’état du marché intérieur s’est encore dégradé. Les clients n’achètent pas, à cause de l’élection présidentielle, et l’argent reste bloqué en SICAV et en assurance-vie.

“Il y a moins en moins de commandes d’État. Il faut une reprise forte, des lois de mécénat plus simples, des possibilités de déduction fiscale – ce qui sera difficile à obtenir à une époque où le chômage est tellement important."

Pour Jean-Marie Rossi, de la galerie Aveline, membre du groupe des Antiquaires à Paris, les affaires en 1994 ont continué à se déplacer vers les maisons de ventes, tandis que le client averti, le véritable amateur, se faisait très rare.

“Le decrescendo amorcé en 1990 continue. Les clients ne savent qu’acheter en vente, catalogue à la main, poussés à l’achat par les princes, les princesses, et les jeunes gens élégants de Sotheby’s et Christie’s," se lamente-t-il."Il ne reste qu’une poignée de clients cultivés qui savent acheter en galerie. Chaque affaire est un miracle, à l’achat comme à la vente."

La disparition de l’amateur éclairé
Jacques Perrin, du même groupe des Antiquaires à Paris, se montre cependant plus optimiste.
“1994 était à peu près équivalent à 1993," nous a-t-il confié."La période avant la Biennale a été calme, mais le salon a été un déclencheur d’envies ; les acheteurs ont pris des décisions. Certes, il y a eu des prix spectaculaires dans certaines ventes, comme celle de Houghton, mais ils étaient exceptionnels."

Tout comme Jean-Marie Rossi, le spécialiste de tableaux anciens Bruno Meissner, de Zurich, déplore la disparition progressive de l’amateur éclairé :"Le collectionneur passionné est une espèce en voie de disparition", constate-t-il. Mais à l’inverse de l’Antiquaire à Paris, il a trouvé 1994"nettement meilleur" que 1993.

“1994 a connu de bonnes affaires," estime-t-il."Les clients ont recommencé à regarder des tableaux qu’ils désirent acquérir. Le XIXe siècle et les tableaux hollandais, en particulier, ont enregistré de bons résultats, les œuvres flamandes et vénitiennes aussi. Mais il ne suffisait pas d’avoir un tableau rare. L’aspect décoratif, plaisant, est devenu également important."

Même son de cloche, ou presque, chez son confrère parisien, Jacques Leegenhoek :"L’année 1994 était quand même meilleure que la précédente, mais le marché n’est pas très solide," nous a-t-il confié. "Il y a eu des prix énormes pour certaines choses – je pense à La lecture de Molière de Jean-François Troy, vendu chez Christie’s, ainsi qu’à certains tableaux du British Rail Pension Fund, adjugés chez Sotheby’s en décembre –, tandis que dans d’autres domaines, il n’y a guère eu d’enchères. "

Selon Jacques Leegenhoek, la baisse, l’année dernière, des prix de la peinture italienne religieuse et mythologique (ceux des vedute s’étant bien maintenus) est directement liée à l’aggravation de la crise politique et économique en Italie. Mais les tableaux nordiques se sont bien défendus, chez les marchands tout comme chez les commissaires-priseurs.

L’année 1995 sera révélatrice
Au Louvre des Antiquaires, la direction signale un nombre de changements de locataires relativement bas, ce qui en soit est réconfortant, mais un chiffre d’affaires qui"n’est pas génial".

“Les bons antiquaires ont vendu moins cher, mais à qualité égale, et il y a eu un tout petit vent d’optimisme vers la fin de l’année," nous a confié la directrice de la communication, Catherine Delachaux."Certains marchands sont enchantés, d’autres marchent moins bien."

Du côté de Saint-Ouen, on enregistre un léger mieux. Selon François Bachelier, président du marché Paul Bert, qui regroupe 240 marchands, 1994 a été"plutôt une bonne année. On était parti de tellement bas, depuis la guerre du Golfe, que cela ne pouvait être pire. On travaille beaucoup à l’exportation et l’an dernier, nos clients les plus importants, les Américains, les Britanniques et les Australiens, ainsi que les Euro­péens, étaient présents."

Dans le domaine traditionnellement discret du dessin de collection, destiné souvent à des amateurs confirmés, ce ne sont pas tant les clients que les œuvres intéressantes qui manquaient. Selon Bruno de Bayser, 1994 a cependant été moins mauvais que 1993."L’année était même plutôt bonne, en ce sens que les choses nouvelles et de qualité ont fait de bons prix. Mais elles sont malheureusement rares."

Le domaine du luxe absolu qu’est l’Art Déco a connu une résurrection l’année dernière, selon Cheska Vallois, qui avoue avoir passé"trois années terribles", mais pour qui les enchères spectaculaires de la vente d’objets d’Armand Rateau, organisée en décembre par Me Jacques Tajan (voir JdA n° 10, janvier), sont autant de signes encourageants.

"Après un démarrage excessivement difficile, l’année 1994 s’est bien terminée, et nous avons fait un chiffre d’affaires supérieur à celui de 1993," affirme-t-elle."Les ventes dans notre galerie, pendant les derniers mois de l’année, laissent à penser que les choses vont mieux, et on espère que la reprise dont on nous parle tellement arrive. C’est l’année 1995 qui va être vraiment révélatrice."

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : La vraie reprise se fait attendre

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