La Tefaf, l’excellence affichée

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 mars 2004 - 1135 mots

La Tefaf, qu’on nomme dans un raccourci familier « foire de Maastricht » ou tout simplement « Maastricht », est un de ces rendez-vous immuables qui, loin des ors de la Biennale des antiquaires, arbore un ton moins flamboyant mais indéniablement professionnel.

Réunissant chaque année quelque deux cents exposants dans la bourgade ouatée de Maastricht, la Tefaf est considérée comme un baromètre du marché et un rendez-vous inéluctable du monde antiquaire. Arpenté par les collectionneurs et les conservateurs de musées, le salon n’est pas un lieu de paraître ou d’affect, mais d’affaires. La physionomie de cette MECC-Mecque des antiquités, aussi ingrate que les halls de la Porte de Versailles, ne prête d’ailleurs pas à la pavane ! Sans trop céder au décorum, la foire procède pourtant cette année à un toilettage en enjolivant l’entrée et la signalétique.
La dernière édition de la Tefaf avait souffert de la défection des clients américains qui, à quelques jours des premières frappes en Irak, n’avaient pas l’esprit à la collectionnite, encore moins aux voyages aériens. « En principe la reprise devrait commencer à partir de cette nouvelle édition de Maastricht. On reste confiant parce que le rendez-vous est incontournable », estime le galeriste Emmanuel Moatti. Pourtant avec la faiblesse du dollar, les Américains tendent à restreindre leurs achats en Europe. La pseudo-reprise américaine n’a d’ailleurs pas atteint le Vieux Continent. Dans un climat de raréfaction des œuvres et de faiblesse de trésorerie, beaucoup de marchands ont fait
le dos rond l’an dernier, limitant notablement leurs achats. Certaines des pièces présentées à la foire ne sont pas totalement inconnues du marché. Mais le négoce s’entend pour réserver ses pièces inédites à ce nec plus ultra du marché.
La Tefaf tire sa force du secteur des tableaux anciens qui offre toujours de grands motifs de réjouissance. Une section qui fait naturellement la part belle aux productions nordiques. La puissante enseigne Bernheimer Colnaghi expose la Troupe musicale du peintre caravagesque d’Utrecht Jan Van Bijlert, achetée chez Sotheby’s en 2002, tandis que le marchand hollandais Bob Haboldt présente
un somptueux portrait atypique de L’électeur Johann Friedrich entouré de trois dames de cour de Lucas Cranach. Le Londonien Jean-Luc Baroni met à l’affiche un portrait de jeune homme de profil de Jan Lievens, qui a fait ses classes comme Rembrandt dans l’atelier de Pieter Lastman. Les critiques de l’époque jugent d’ailleurs que sa première période n’a rien à envier au maître d’Amsterdam. Si les marchands se dévouent corps et âme aux écoles du Nord, les artistes italiens ne sont pas pour autant à la traîne. Après de longues années d’absence, la galerie Sarti revient avec son offre de beaux primitifs italiens à fond d’or.
« On avait arrêté parce que nous proposions principalement des meubles italiens, ce qui n’était pas du goût des visiteurs de Maastricht. Mais la foire a beaucoup changé.
De notre côté, nous présentons davantage de peintures », explique Claire Sarti. Pour ne pas faillir à leur réputation, les Sarti présentent une Vierge d’humilité avec six anges d’Agnolo Gaddi, un artiste italien du XIVe siècle. On y retrouve sa patte habituelle, les visages allongés, avec des longs nez aux narines bien dessinées, les grands fronts, les sourcils fins et arqués et surtout une décoration presque ciselée de finesse et de richesse. Les amateurs de Caravage ne seront pas en reste avec un Martyre de saint Sébastien de Bartolomeo Manfredi, un des disciples les plus proches du maître du clair-obscur. Même s’il cède au goût ambiant en présentant une paire de nature morte d’Abraham Van Stry, Emmanuel Moatti n’en produit pas moins un joli pastel de Jean-Baptiste Perroneau. De même Maurizio Canesso, jeune recrue de l’an dernier, peut sans complexes jouer dans la cour des grands avec sa sélection de dix tableaux de Luca Cambiaso, artiste rarissime du XVIe siècle.
Les arts décoratifs de goût français peinent davantage à s’insinuer dans ce noyau dur de marchands de tableaux. Peu d’antiquaires s’aventurent sur leur chasse gardée. La galerie Didier Aaron, qui cumule les activités d’antiquaire, de marchand de tableaux et de décorateur, préfère valoriser les tableaux plutôt que les meubles. « On a voulu un peu casser notre image liée dans l’esprit de certains, uniquement aux meubles. On y va pour rencontrer des gens plus que pour vendre sur place », confie Laure Pouzol de la galerie Aaron. Elle propose cette année un Saint Paul sur l’île de Malte peint vers 1630 par Laurent de La Hyre, achetée chez Christie’s voilà trois ans.
Ce tableau du début de sa carrière oscille entre maniérisme et caravagisme, se démarquant ainsi du hiératisme classique habituellement de mise. La galerie met aussi à l’affiche une toile de l’artiste belge François-Joseph Navez, issue de son exposition « 1800 » organisée en octobre dernier.
Dans le semi-désert des arts décoratifs français, on apprécie d’autant plus le courage de la galerie Flore, qui, après son intronisation l’an dernier, récidive avec une sélection de meubles en bois sculpté d’époque Régence. Amatrice de pièces au dessin vigoureux, elle propose une cheminée en noyer sculpté à décor de masques et surtout une console en bois sculpté, dans sa dorure d’origine, présenté voilà une vingtaine d’années par un de ses confrères à la Biennale des antiquaires. On attend aussi au tournant quelques écrans de cheminées, rescapés de son exposition du dernier
Carré rive gauche...
La haute époque, qui s’égrène dans les sculptures ou les manuscrits enluminés, est aussi à l’honneur. Préférant jusque-là le rythme espacé de la Biennale des antiquaires, Philippe Carlier de la galerie Brimo de la Roussilhe avait participé pour la première fois l’an dernier à la foire. « Je suis hésitant face aux manifestations régulières car, dans notre domaine, les objets sont difficiles à trouver. Mais il faut faire des efforts. J’ai trouvé qu’il y avait des clients intéressants pour notre spécialité, peut-être davantage que dans d’autres salons », déclare le marchand. Son programme
se concentre sur une sélection d’œuvres de l’époque byzantine.
Les arts primitifs et ceux d’Extrême-Orient proposent aussi souvent de très belles pépites, l’occasion notamment de revoir chez Meyer-Océanic une très belle Rapa, pagaie de danse stylisée de l’île de Pâques qui trônait dans sa galerie à l’occasion de « Kaos : parcours des Mondes » en septembre à Paris. Sous la houlette du galeriste Leslie Waddington, le secteur moderne de la foire se bonifie d’année en année. Consolidée par l’arrivée l’an dernier de pointures internationales comme Sperone-Westwater et par la présence de quelques galeries françaises de qualité comme Cazeau La Béraudière et Bernard Prazan, cette section commence à peine à trouver sa vitesse de croisière. Encore faut-il parvenir à ébarber certaines imperfections comme le surplus de galeries locales dont
le niveau dépare avec l’excellence affichée de cette foire.

Tefaf, centre d’expositions et de congrès de Maastricht (MECC), Forum 100, tél. 31 43 383 83 83, www.tefaf.com, 5-14 mars.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°556 du 1 mars 2004, avec le titre suivant : La Tefaf, l’excellence affichée

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