La photo, retour au calme

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 906 mots

Le marché de la photographie se calme après cinq années d’envolée irrationnelle.
État des lieux d’un secteur parvenu à maturité.

Trop de photos tuent la photo. Un constat qui se confirme de jour en jour après une période de boulimie et d’inflation des prix. L’heure est à la saturation et son corollaire, la sélectivité. Selon Artprice, les produits de ventes de photographies ont diminué de 10 % en 2003 en raison de la contraction des échanges (-16 %), d’un taux de ravalés important (39 %) et d’une baisse des prix. Le marché n’en est pas pour autant labile. Il est juste arrivé à maturité et corrige ses abus. On perçoit un sérieux coup de frein en Europe, à en juger par l’indigence des ventes prévues à l’automne. De son côté Sotheby’s a déplacé son habituelle vacation londonienne du mois de mai faute de pouvoir la nourrir convenablement. L’humeur est en revanche au beau fixe aux États-Unis. Les marchands américains surplombent le marché et voient chaque année grossir les rangs de leurs collectionneurs. Si des pans entiers comme la photographie moderne et les primitifs du XIXe siècle sont devenus intouchables, on peut encore défricher du côté des années 1940-1960, en France, mais aussi aux États-Unis, du côté des créateurs comme Leon Levinstein, Lisette Model ou Ted Croner. Par ailleurs, l’apparition de collectionneurs dont l’approche n’est pas calquée sur les hiérarchies des Beaux-Arts a donné lieu à quelques échappées vers la photographie judiciaire ou vernaculaire. Le marché n’est pas fermé aux nouveaux acheteurs, mais il est désormais impossible d’être exhaustif.
À l’image du médium, le marché de la photographie est à géométrie variable. L’analyse diffère selon qu’on aborde un tirage argentique d’un Gustave Le Gray ou un cibachrome de Nan Goldin. Côté primitif, les deux ventes Jammes chez Sotheby’s en 1999 et 2002 ont fait l’effet de bombes atomiques en engrangeant quelques records comme celui de 460 000 livres (sans les frais) pour la Grande Vague de Le Gray. Lors de la seconde vente, la valeur du fonds Charles Nègre, que le marchand André Jammes avait en vain proposé à l’État français pour 15 millions de francs neuf ans plus tôt, grimpait à 6,3 millions d’euros. « Dans la première vente Jammes, certaines choses se sont vendues vingt à cinquante fois les prix du marché, ce qui a tout faussé. La photo était jusque-là un marché de découvreur qui se mettait raisonnablement en place. Tout le monde a alors pensé qu’on pouvait acheter de la main droite et vendre de la main gauche en rajoutant un zéro », déplore le conseiller Marc Pagneux. En octobre 2002, le Museum of Modern Art (MoMA) cédait dans une procédure de deaccessioning une série de doublons pour pouvoir acheter trois cents tirages de la collection Thomas Walther. À cette occasion, un rayogramme de Man Ray, niché aujourd’hui dans la collection du producteur de cinéma Claude Berri, décroche le record de 350 000 dollars. Derrière ces faits d’armes se profile l’ombre de la pénurie. L’offre moyenne reste abondante, mais le haut du panier n’apparaît plus que par éclipse. Dès que des photos inédites comme celles d’Auguste Salzmann en mai dernier chez Piasa ou d’Edgar Degas en juillet chez Beaussant-Lefèvre sortent des tiroirs, les amateurs recouvrent leur appétit. Les trois ventes de photographies organisées en avril dernier par Sotheby’s ont totalisé 8 millions de dollars pour seulement deux cent cinquante-cinq lots présentés. Un succès lié à l’effet des deux collections privées et à la sélectivité des organisateurs.
L’art contemporain et la photographie se donnent depuis longtemps la main. C’est chez Nadar que se tint en 1874 la première exposition des impressionnistes. La photographie est tellement inscrite dans les mœurs de l’art contemporain qu’en 2000, pour la première fois, le fameux Turner Prize est décerné à un photographe, Wolfgang Tillmans. Ces dernières années, la photographie plasticienne s’est mue en planche à billets. En hausse de 70 % entre 1997 et 2000, les prix s’effondrent toutefois de 30 % en 2003. Trop de tirages moyens, d’œuvres achetées et revendues selon un rythme spéculatif ont pollué ce marché. Ainsi At the bar– Toon, C, and Soc., Bangkok, une photo de Nan Goldin de 1992 est passée pas moins de quatre fois aux enchères entre mai 2000 et mai 2001. Adjugée 42 300 dollars la première fois, elle dérape à 34 075 dollars en 2001. En mai 2003, cette image ne vaut plus que 8 500 euros chez Christie’s Milan (sans les frais). Des corrections qui n’interdisent pas certaines folies ! À la dernière foire de Bâle, la galerie Skarstedt cédait pour 1 million de dollars une photo de Richard Prince, achetée quelques mois plus tôt pour 230 000 dollars ! « Les prix des photos contemporaines m’effraient. On s’aperçoit que certaines œuvres n’obtiennent des prix importants que par une méconnaissance du marché et non par la rareté », déplore le galeriste Michel Durand-Dessert. Derrière ces prix XXL, beaucoup d’artistes s’égrènent entre 5 000 et 20 000 euros. « La politique de prix agressive n’est valable que si on veut qu’un artiste soit juste à la mode un temps donné. Ces marchands ne construisent pas sur la durée », conclut avec justesse le galeriste américain Tom Gitterman qui présente sur Paris Photo les vues architecturales du jeune Joshua Lutzpour 3 500 dollars. À bon entendeur...

Vente Veronica’s revenge, collection Lambert, 8-9 novembre, Phillips de Pury & Compagny, 450 West 15 Street, New York, tél. 1 212 940 1200, www.phillips-dpl.com,

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : La photo, retour au calme

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