Centre d'art

Collectionner l'art brut

La collection Bruno Decharme

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 19 novembre 2014 - 792 mots

La Maison rouge met à l’honneur l’un des plus grands collectionneurs au monde d’art brut : Bruno Decharme. Ses pièces qui, hier encore, n’intéressaient ni les institutions ni le marché, ont aujourd’hui le vent en poupe.

Jusqu’au 18 janvier, la Maison rouge expose les chefs-d’œuvre de la collection d’art brut de Bruno Decharme. Des personnages colorés d’Aloïse Corbaz aux étourdissantes maquettes d’avions de papier de l’Allemand Hans-Jörg Georgi, le visiteur déambule dans l’extraordinaire collection de l’un des premiers et plus importants passeurs de cet art hors normes, sans destinataire, enraciné dans les angoisses existentielles de ses créateurs. Et jusqu’au 29 novembre, on peut poursuivre la visite chez Christian Berst : le galeriste a donné carte blanche à Bruno Decharme pour une exposition, commerciale celle-ci, d’œuvres majeures provenant de collections particulières. Si l’art brut est aujourd’hui à la mode, Bruno Decharme, lui, a débuté sa collection il y a près de quarante ans. Vers le milieu des années 1970, celui qui est alors étudiant en philosophie découvre cet art théorisé par Jean Dubuffet en 1945. Aussitôt, il commence à acheter des pièces – un dessin de Wölfli, par exemple, en 1978, « qui ne valait rien, puisqu’il n’y avait pas de marché ! ». Pour dénicher des œuvres, il s’appuie sur la collection de Dubuffet, conservée à Lausanne. « Je contactais les familles des artistes et des psychiatres, ainsi que des collectionneurs d’art populaire », se souvient le cinéaste. En 1990, à la mort du peintre américain Alfonso Ossorio, Decharme acquiert les dix chefs-d’œuvre donnés par Dubuffet à l’artiste pour le remercier d’avoir abrité sa collection avant de la transférer à Lausanne. Un marché de l’art brut commence alors à émerger. Decharme, dès lors, peut se tourner vers des marchands. Au fil des ans, son œil s’est aiguisé. Sa collection ne se limite plus aux artistes estampillés par Dubuffet. « En même temps que mon exigence s’accroît, mon champ se restreint : ma collection, qui a pu compter jusqu’à 8 000 pièces, en rassemble aujourd’hui deux fois moins », confie-t-il. En 1999, Bruno Decharme fonde l’association abcd. Son but : diffuser l’art brut et catalyser la recherche à son sujet, mais aussi découvrir de nouveaux artistes. Par le biais de l’antenne de l’association à Prague, le collectionneur a découvert les artistes Zdenek Kosek et Lubos Plny, qu’il a fait connaître et dont un dessin a été récemment acheté par le Centre Pompidou.

À noter

Les œuvres présentées sur ces pages ne sont pas à vendre, les valeurs actuelles sont données à titre indicatif.

Zdenek Kosek
Assailli par des bouffées délirantes, Kosek s’est mis à noter chaque variation de l’atmosphère et de son environnement : un souffle de vent, un nuage qui se déplace, un rayon de soleil, un oiseau qui se met à chanter… S’il arrête de capter ainsi le monde, une catastrophe se produira, pense-t-il. « Lorsque j’ai découvert cet artiste, en République tchèque, il voulait tout jeter. Je lui ai tout acheté, au prix d’un artiste débutant dans une galerie à Prague », confie Decharme. L’artiste n’a osé lui montrer cette photographie érotique recouverte d’annotations, exprimant les liens entre les changements atmosphériques et le sexe, que six mois plus tard…

Henry Darger
En 1973, le photographe Nathan Lerner et sa femme Kiyoko découvrent dans la chambre de leur locataire décédé, Henry Darger, une œuvre colossale à couper le souffle. Ils gardent un tiers des pièces, en donnent un autre à des musées et vendent le dernier tiers à des galeries. Aussitôt, un marché se met ainsi en place. Decharme a acheté directement ce dessin au couple en 1993. « On doit aujourd’hui compter seulement une centaine de pièces de Darger en mains privées », estime celui qui en possède pour sa part une dizaine.

Lubos Plny
Un de ses dessins a récemment été acheté par le Centre Pompidou. C’est Bruno Decharme qui a découvert, à Prague, l’œuvre de cet ancien électricien schizophrène, fou d’anatomie, qui passe des mois sur chacun de ses dessins. À la demande de cet étrange artiste qui s’enorgueillit d’avoir reçu le titre de « modèle académique » de l’École des beaux-arts de Prague au point de signer ainsi ses œuvres, il monte des expositions et devient son intermédiaire avec le marché « pour éviter de le broyer ». Decharme a confié ses œuvres à Christian Berst à Paris et Cavin-Morris à New York.

Adolf Wölfli
Ce dessin en noir et blanc de Wölfli, une des figures les plus emblématiques de la collection d’art brut de Dubuffet, est sans doute le plus grand format de Wölfli en circulation. « Pourtant, lorsqu’il a été vendu aux enchères à Berne, en 1996, j’étais seul dans la salle. J’ai eu ce chef-d’œuvre au prix de réserve », se souvient Bruno Decharme.

« Collection abcd/Bruno Decharme », jusqu’au 18 janvier 2015. La Maison rouge, 10, boulevard de la Bastille, Paris-12e, www.lamaisonrouge.org

« Art brut, masterpieces & découvertes, carte blanche à Bruno Decharme », jusqu’au 29 novembre 2014. Galerie Christian Berst, 3-5, passage des Gravilliers, Paris-3e, www.christianberst.com

« Éric Derkenne, champ de bataille », jusqu’au 21 décembre 2014. Espace abcd, 12, rue Voltaire, Montreuil (93), www.abcd-artbrut.net

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : La collection Bruno Decharme

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