antiquaires

La balade du chineur parisien

L'ŒIL

Le 1 septembre 2002 - 1487 mots

Il n’est pas simple pour les non initiés de se repérer dans le dédale des boutiques des antiquaires de Paris. Différents lieux demeurent incontournables : le Louvre des Antiquaires, le quartier de Drouot, le village Saint-Paul, Le Carré Rive gauche, le Village suisse, sans oublier le fabuleux micmac des Puces de Saint-Ouen. Propos en guise de fil d’Ariane pour ne pas se perdre dans ces scintillantes et enrichissantes cavernes.

Quand on hante les brocantes, on trouve l’antique porte-plume en bois qui nous a ouvert les portes de l’écriture, ce jeu de l’oie que nous offrit notre tante Annie, les soldats de plomb avec lesquels il fut interdit de jouer de peur d’encore plus les blesser... Une pipe, une théière chinoise, des estampes, une jarre cassée, une armoire recouverte de nacre offrent une émotion chargée d’histoire et en un bref instant le passé du monde se déroule devant nos yeux et s’ouvrent des fenêtres intemporelles.

Les tendances actuelles
Quand la crise frappa le marché de l’art à la fin des années 80, certains secteurs s’en sont remis mieux que d’autres. Le marché de l’art contemporain s’était écroulé, mais l’Art Nouveau, les tableaux et dessins du XVIIIe siècle comme le mobilier en général ont gardé une bonne cote. Même si les modes changent, le mobilier Art Déco accessible dans les années 70 est devenu l’un des fleurons du marché, celui des années 50 coûtait dix fois moins dans les années 80... Les pièces des années 20-30 de Chareau, Frank, Ruhlmann frôlent les 150 000 euros. Il y a encore quatre ans, leur cote voisinait les 10 000 euros ! Pour les meubles de Leleu, Drouet, l’ascension est plus lente mais la hausse se confirme aussi. Les céramiques souvent kitsh des années 40-50 connaissent une grande vogue.
Il faut compter près de 4 000 euros pour un plat à tagine de Lurçat. En cinq ans, les céramiques de Capron, Kerulac, Jouve sont passées de 150 euros à 500 euros, une progression de l’ordre de
200 % ! L’engouement du public se porte aussi sur le mobilier des années 40-50. En moins de quinze ans, les prix ont été multipliés par dix pour des pièces signées Arbus ou Jean Royère. Il en va de même pour les dessins du XIXe siècle. Dans les années 70, une étude académique du XIXe coûtait environ 300 euros, actuellement on peut multiplier son prix par quatre ! Un autre marché qui connaît une fulgurante ascension est celui de la photographie ancienne.
Il y a vingt ans les amateurs de photos ethniques ou de voyages étaient rares. Depuis, les cotes des albums se sont multipliées par trois : des clichés de Gustave Le Gray dépassent les 150 000 euros en salle des ventes ! Pour se tenir au courant des tendances et faire des affaires,
il faut aller chiner dans les quartiers et se laisser tenter par des achats-plaisirs qui peuvent devenir de bons placements.

Quelques lieux incontournables
Face au Musée du Louvre et du Palais Royal, à deux pas de la Comédie française et du Musée des Arts décoratifs, le Louvre des Antiquaires occupe l’emplacement des Grands Magasins du Louvre, fondés par Alfred Chauchard et édifiés par Percier Fontaine. Ils abritaient l’ancien Grand Hôtel achevé pour l’Exposition Universelle de 1855. Initialement située sous les arcades de la rue de Rivoli, une galerie prit rapidement de l’expansion jusqu’à envahir les deux cours de l’hôtel, l’entresol, le sous-sol et le premier étage.
On trouvait alors de tout dans cet immense caravansérail : soieries, châles des Indes, tartans, articles de Paris, bonneterie, jouets, aquarelles... Les Grands Magasins du Louvre adoptèrent une politique commerciale novatrice avec la vente par correspondance. Les chanceux étaient pourtant les clients qui se rendaient sur place pour admirer l’une des premières installations d’éclairage électrique de la capitale. Cette prospérité devait décliner dans les années 50. Les portes furent de nouveau ouvertes en 1978. Le lieu actuel est sans équivalent avec plus de 200 antiquaires passionnants. Bar, restaurant, bureau de change, transporteur sur demande, experts sur rendez-vous sont à disposition.
Ce premier centre couvert français d’antiquités offre à Paris un rayonnement international de capitale du commerce d’objets d’art. Cannes anglaises, services
à liqueur, sulfures, argenterie, médailles militaires, mobilier, verreries, pierres géologiques... : chaque spécialiste suscite des impressions enivrantes, à la fois de profusion et de cohérence, qui séduisent marchands, acheteurs et dilettantes.
Plus au Nord, dans le 9e arrondissement, autour de l’hôtel des ventes de Drouot de nombreux antiquaires et marchands de timbres sont installés. Rue de la Grange-Batelière se trouve le passage Jouffroy qui est consacré aux livres d’occasion et aux jouets et miniatures. Sur cette même rive, il faut aller déambuler dans le 4e au village Saint-Paul. Entre les rues des Jardins-Saint-Paul, Charlemagne et la rue de l’Ave Maria, au rez-de-chaussée de belles maisons anciennes du XVIIe siècle, des magasins d’antiquités, de brocante, des ateliers de métiers d’art se pressent dans cette belle zone piétonnière. Quatre fois par an y est organisé un grand « déballage-brocante ».
En traversant la Seine, le long du quai Voltaire, se profile le Carré Rive gauche depuis mai 1977. L’association des antiquaires et galeries du Carré Rive gauche du Quai voltaire, rue du Bac, rue de Beaune, rue Jacob... n’a cessé de croître et compte plus de 120 adhérents. A l’origine, cet organisme voulait dynamiser le quartier et proposer au public un regroupement de marchands dans un lieu géographique délimité. Les journées portes ouvertes permettent à la foule de rentrer chez les antiquaires et de s’informer. Au mois de mai, les cinq jours de l’Objet extraordinaire attirent un public de profanes et de subtils connaisseurs. Un des autres hauts lieux du marché de l’art à Paris est le Village suisse, jailli des vestiges de l’Exposition Universelle de 1900, où le gouvernement suisse avait reconstitué tout un village avec chalets, alpages, montagnes. C’est à la fin des années 50 que le commerce des antiquités y a élu domicile. Le Village suisse à l’ombre de la Tour Eiffel est depuis fréquenté par les spécialistes comme par les amateurs.
Les Puces de Saint-Ouen sont aussi incontournables, même si la bonne affaire fricote avec l’arnaque. Ici débute souvent la carrière d’un objet. C’est en 1841 qu’Adolphe Thiers décide d’entourer Paris d’une enceinte fortifiée. Une zone large de 260 mètres abritait un terrain militaire, un lieu de promenade et dès 1860, les pauvres gens, clochards et chiffonniers s’y installèrent. Vers 1880, Paris comptait 30 000 chiffonniers ou « biffins ». Ils récupéraient chiffons, métaux, nourriture pour les revendre. En 1920 s’organise le marché Vernaison du nom de Romain Vernaison qui avait acheté ici un terrain de 9 000 mètres carrés sur lequel il construisit des baraques à louer. Plus de 300 stands y sont maintenant installés. Au hasard des allées se découvrent camelote et pièces de choix. Des lustres, des perles de verre, des meubles rustiques, des objets de décoration, des tableaux de toutes les époques, des vitraux, des armes anciennes, de la sculpture des années 50... Des stands spécialisés proposent photographies, gravures, affiches et cartes postales aussi bien que des statues d’Afrique et d’Amérique du Nord. Une institution du marché Vernaison est le restaurant « Chez Louisette », où l’accordéon respire toujours à l’air de Paris. Symbole du renouveau des Puces, le marché Malassis qui a été ouvert en 1989. Cette grande galerie commerciale abrite plus de 200 stands. Ces « Puces » modernes n’ont peut-être pas le charme de l’ancien marché mais on trouve, dans les allées couvertes, une bonne qualité de marchandise : des meubles syriens, des jarres de jardin du XIXe siècle, des cavaliers chinois, de l’argenterie, des jouets des années 50-60... A tous ces endroits s’ajoutent aussi la galerie des antiquaires du Bon Marché, le Hameau de Verneuil, le Village Saint-Honoré et les Puces de Vanves.
Si le monde connaissait déjà depuis quelques mois un ralentissement économique aggravé après les attentats du 11 septembre, les effets sont très différents d’un secteur d’activité à un autre. Il faut espérer que le commerce des œuvres d’art ne s’en trouvera pas trop affecté et même qu’au-delà de la valeur esthétique, leur appréciation financière les amènera à être considérées comme des valeurs refuges. La politique culturelle française a toujours encouragé un bon équilibre entre le maintien dans notre pays du patrimoine national et le développement du marché de l’art. Les antiquaires de la ville lumière en tous les cas demeurent bien présents avec des pièces de qualité et continuent de faire de Paris sans conteste une capitale vivante et incontournable de la brocante et du marché de l’antiquité.

- www.curiositel.com ou www.antikaparis.com - A lire : Jean Bedel, Les Puces ont cent ans ; L’Argus des antiquités ; Marché aux Puces, guide pratique, éd. Novamat ; Guide Emer, éd. Froville ; Le Guide du Chineur, éd. Ouest-France ; Euro Guides, Les Puces, éd. du Seuil. - A écouter : La Valeur des choses, chronique de Jean Bedel sur France Info le samedi.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°539 du 1 septembre 2002, avec le titre suivant : La balade du chineur parisien

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque