Galerie

Chine

Wang Keping esthète de bois

Pour sa dixième exposition à la galerie Zürcher, Wang Keping présente treize sculptures

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 15 février 2012 - 775 mots

PARIS

PARIS - Avoir été garde rouge à l’âge de 19 ans laisse nécessairement des traces. Avoir ensuite fait partie, pendant la Révolution culturelle, de ceux qui ont été rassemblés dans un stade puis déportés en autobus en Mongolie intérieure, et y être resté enfermé deux ans dans des camps de rééducation marque encore plus profondément.

Au début des années 1970, Wang Keping (né en 1949), surveillé par les autorités, sera affecté au « Théâtre aux armées » de Pékin. Il y passera deux ans dans le cadre de son service militaire et en profitera pour commencer à écrire des poèmes. Presque une chance pour lui : il sera en effet envoyé à la télévision pour y écrire des pièces de théâtre. Qui ne seront jamais jouées car sans doute jugées trop subversives. Mais peu importe, puisque c’est à la suite de cet échec et de ce parcours pour le moins singulier que Wang Keping devient sculpteur. On est en 1978, il a 29 ans. Et dès l’année suivante, en 1979, il est, avec Ma Descheng, Huang Rui, Li Shuang, Ai Weiwei… (une vingtaine d’artistes au total), l’un des fondateurs du fameux groupe des « Étoiles » (« Xing Xing » en chinois), le premier groupe d’artistes non conformistes, qui va débloquer la situation artistique et ouvrir la voie à l’avant-garde chinoise. Mais avant cela, Wang Keping et ses amis vont frapper un grand coup en exposant leurs œuvres, sans autorisation, sur les grilles du Musée national des beaux-arts de Pékin, en septembre 1979. Le scandale passé, ils seront invités à exposer en août 1980 dans deux grandes salles du musée. Les difficultés pour les artistes vont cependant continuer et nombre d’eux sont (ou se sentent) obligés de partir. Wang Keping est ainsi expulsé en 1984. En admirateur de Maillol, Brancusi, Zadkine, il choisit la France. Très vite, Bernard et Gwénolée Zürcher vont s’intéresser à lui, l’aider et lui proposer en 1986 sa première exposition personnelle dans leur galerie.

Maîtrise de la patine
La monographie actuellement présentée est la dixième. Elle rassemble treize sculptures, dont deux grandes, Jeunesse (2,08 m de haut) et Amour maternel (2,10 m). Elles ont toutes deux été spécialement réalisées à partir de deux énormes platanes, pour l’exposition « Artistes chinois à Paris » qui s’est tenue du 9 septembre au 31 décembre dernier au Musée Cernuschi, et étaient présentées au parc Monceau devant le musée. Les autres sont plus petites : plus à l’échelle et plus à la main de l’artiste qui a toujours aimé trouver ses corps dans le bois. Car si, à première vue, ses œuvres semblent assez classiques, elles le sont beaucoup moins quand on les regarde de près. En effet, à la différence des artistes occidentaux, Wang Keping n’impose pas sa forme, il attend du bois qu’il la lui dicte. Cette tradition orientale et chinoise change radicalement le processus de création. Ainsi, une idée quand même assez précise en tête, Wang Keping commence-t-il par le choix du tronc ou des branches qui, avec leur dessin préétabli, leurs nœuds, leurs protubérances, vont inspirer la figure humaine. Vient ensuite l’étape de la coupe qu’il lui faut exécuter à la tronçonneuse, pile au bon endroit. Commence alors le travail de sculpteur à proprement parler qui le voit dégager puis peaufiner la figure, généralement féminine. Il termine enfin, point d’orgue, par cette magnifique maîtrise de la patine. Chaque œuvre est en effet noircie au feu d’un chalumeau qui durcit la couche superficielle du bois et donne cette couleur noire, à la fois profonde et satinée. Plusieurs ponçages plus tard, la surface s’est muée en épiderme et augmente encore la sensualité si caractéristique des corps féminins de Wang Keping.

En ce qui concerne les prix, les œuvres ici présentées vont de 18 000 à – exceptionnellement – 300 000 euros, en fonction de leur taille. On reste très loin des millions d’euros atteints par les Zheng Shanzi, Yue Min Jun, Zhang Xiaogang… De nombreux acteurs du marché trouvent même cet écart assez incompréhensible. Deux raisons pourraient toutefois être avancées. La première concerne le travail même de Wang Keping, qui n’a jamais exploité le filon pop chinois si prisé (!) par le marché international. La seconde vient de l’artiste lui-même, qui n’a jamais rien fait pour parader au sommet des hits. Plutôt discret, réservé, renfermé, il a su se préserver de façon salutaire afin de garder les pieds sur terre et d’éviter d’avoir la tête dans les… étoiles.

WANG KEPING

Nombre d’œuvres : 13
Prix : de 18 000 à 300 000 €

Jusqu’au 17 mars, Galerie Zürcher, 56, rue Chapon, 75003, tél. 01 42 72 82 20, du mardi au samedi 12h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°363 du 17 février 2012, avec le titre suivant : Keping esthète de bois

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