Foire & Salon

Baromètre du marché de l’art

Insubmersible Art Basel

Organisée du 16 au 20 juin, la Foire de Bâle s’est focalisée sur les valeurs sûres et a confirmé la bonne santé du marché de l’art

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2010 - 1277 mots

En s’appuyant sur les valeurs sûres, la 42e édition de la Foire de Bâle s’est assuré une stabilité à toute épreuve. Dans ce climat général de confiance retrouvée, les achats, avisés, ont concerné des pièces de qualité, à des tarifs élevés. En revanche, « Art Statements », la section consacrée aux jeunes talents, a déçu.

BÂLE - Dans la section « Art Unlimited » de la Foire de Bâle, une vidéo du collectif Superflex montrait un restaurant Mac Donald’s noyé sous les eaux. Le marché de l’art présente certes des similarités avec celui de la restauration rapide, comme la tendance à consommer prestement les artistes. Mais les scénarios diluviens n’y sont pas de mise. En dépit des averses qui ont obscurci le ciel bâlois, Art Basel est restée insubmersible. « Je ne suis pas un pêcheur de crevettes mexicaines dont les eaux seraient souillées par le pétrole et je ne suis pas un retraité anglais inquiet pour sa pension, soulignait Michael Findlay, directeur de la galerie Acquavella (New York). Dans notre petit monde, les choses sont plutôt stables. » 

Stabilité, voilà bien le maître mot de la dernière édition du salon. Stabilité, et confiance devrions-nous ajouter. De fait, les marchands avaient généralement fait de sérieux efforts pour montrer de très belles pièces, ou construire des stands très racés à l’instar de Praz-Delavallade (Paris) et Eva Presenhuber (Zurich). Peu d’exposants s’étaient aventurés hors des travées bien tracées de l’histoire de l’art ou de l’actualité. Certains s’étaient opportunément calés sur les expositions organisées simultanément dans les musées bâlois, d’où une épidémie de caissons lumineux de Rodney Graham, à l’affiche au Museum für Gegenwartskunst.

Le niveau était particulièrement solide au rez-de-chaussée de la foire, entre la carte blanche confiée à Joseph Kosuth et Hiroshi Sugimoto à la Galerie 1900-2000 (Paris), le stand remarquablement composé de Paula Cooper (New York), ou celui de qualité musée de David Zwirner (New York) dominé par la collection Helga et Walther Lauffs. On s’étonnait en revanche que la très sérieuse galerie berlinoise neugerriemschneider ait consacré ses murs à une exposition personnelle de Billy Childish. À voir ces peintures dignes de la place du Tertre, il était tentant d’imaginer un artiste fictionnel au nom volontairement infantile. Eh non, ce Childish, dont les collectionneurs se sont étrangement arraché les tableaux, existe bel et bien. Une pseudo « découverte » pétrie de cynisme et dont on se serait bien passé ! En revanche, là où les visiteurs guettaient précisément les jeunes créateurs les plus prometteurs, c’est-à-dire sur le secteur des « Art Statements », la déception fut cruelle. La plupart des artistes avaient joué sur le décor et la présentation, rarement sur le fond. Même sentiment de grisaille générale sur « Art Unlimited », où le regard s’arrêtait surtout sur la vidéo The New Frontier de Doug Aitken et l’installation de 1969 de Dan Flavin. 

La qualité au rendez-vous
Moins hystérique que voilà deux ans, le commerce fut toutefois très actif dès les premières heures. Les collectionneurs prenaient leur temps, jaugeaient les prix – souvent faramineux – , réfléchissaient sans toutefois finasser. Visiblement, ils avaient assimilé le vade-mecum conçu à l’attention des collectionneurs par Mario Garcia Torres, et accroché à l’extérieur du stand de Jan Mot (Bruxelles). Celui-ci préconisait aux amateurs de s’éduquer avant de se lancer. Et de ne pas se précipiter sur les supposés chefs-d’œuvre, ce mot étant à géométrie variable. Propos parfaitement illustré par la galerie Nelson-Freeman (Paris), laquelle proposait des sculptures de petites dimensions mais extrêmement bien choisies de Rachel Whiteread, Marcel Broodthaers ou Robert Gober.
« Cette année, la foire donnait un très bon signe pour l’avenir, soulignait Harry Lybke, directeur d’Eigen Art (Berlin). Les gens regardent la qualité, rien que la qualité. Et ils sont prêts à dire oui lorsqu’une pièce répond à ce critère. » La collectionneuse suisse Monique Burger a ainsi acheté lors du vernissage une œuvre de Valeska Soares à la galerie Fortes Vilaça (São Paulo), une sculpture de Kris Martin chez Sies Höke (Düsseldorf) ainsi qu’une feuille de Pierre Bismuth chez Jan Mot. L’Américaine Rosa de la Cruz a, elle, acquis une peinture de Rudolf Stingel chez Paula Cooper (New York), une peinture d’Ida Ekblad chez Johann König (Berlin) et l’installation d’Ugo Rondinone présentée sur « Art Unlimited ». 

Grâce à la conseillère Patricia Marshall, le propriétaire de Zadig & Voltaire, Thierry Gillier, a emporté contre quarante autres prétendants un Nain blanc de Paul McCarthy chez Hauser & Wirth (Zurich, Londres, New York). Conseillé par le Français Vincent Honoré, le collectionneur britannique David Roberts s’est saisi du « Art Statements » intégral de Patrizio di Massimo chez T293 (Naples) et de l’Unwritten Saga of the Fujiwara Family de Simon Fujiwara chez Neue Alte Brücke (Francfort). Le Museum of Contemporary Art de Chicago a choisi une pièce de Franz Erhard Walther proposée par Jocelyn Wolff (Paris), tandis que le Musée Ritter à Waldenbuch (Allemagne) a jeté son dévolu sur une sculpture de Jean Gorin chez Lahumière (Paris). 

Murakami toujours 
Les artistes à la mode n’étaient pas en quarantaine. Emmanuel Perrotin (Paris, Miami) s’est ainsi défait d’une sculpture de Takashi Murakami pour 1,3 million de dollars [1,05 million d’euros] tandis que Gagosian (New York, Londres, Paris) a vendu une de ses dernières peintures parsemée de crânes environ 1,8 million de dollars. Fort de cette cagnotte, le créateur nippon s’est empressé d’acheter l’abominable installation de Zhang Huan sur « Art Unlimited »…

Le design au mieux de sa forme

Les années se suivent et ne se ressemblent pas sur la foire Design Miami à Bâle. Si les deux dernières cuvées avaient cédé au fourre-tout et au kitsch, la direction a procédé cette année à un vrai nettoyage. Du coup, la manifestation affichait une qualité inédite. Les collectionneurs ne s’y sont pas trompés, qui ont sorti leur chéquier dès les premières heures. Patrick Seguin (Paris) a ainsi trouvé preneur pour une bibliothèque monumentale de Jean Prouvé et Charlotte Perriand, tandis que la galerie Downtown (Paris) a vendu un canapé Ours polaire de Jean Royère à un Français. « Il y a de l’électricité, de l’envie. Les Américains de la Côte est sont passés à autre chose. La crise est derrière nous », affirmait Jacques Lacoste (Paris), après avoir cédé une paire de fauteuils et une table basse de Royère à des Américains. Même la galerie Didier Aaron & Cie (Paris), dont la présence pouvait sembler incongrue dans ce cénacle, a profité de l’emballement ambiant. Un collectionneur anglais a ainsi emporté une paire de fauteuils de Jacob, avec l’intention de les installer à côté de meubles d’Eileen Gray. Mais la foire n’a pas encore réussi à faire la part des choses entre art et design, jouant volontairement sur le flou ambiant. D’où la présence d’un mur faussement végétal piqué de capteurs sensibles de Piero Gilardi chez Rossella Colombari (Milan). Le travail de cet artiste sur l’écologie ne saurait pourtant se résumer à de l’art décoratif. Après avoir gagné en stature à Bâle, le salon devra absolument relever le niveau à Miami, et faire oublier sa dernière édition affligeante. Le nouvel emplacement de la foire dans une tente en face du Convention Center offre des perspectives plus prometteuses. Reste la question du devenir à long terme de l’événement, avec le départ prochain de sa directrice, Ambra Medda. Quant à la foire off Liste, elle fut comme toujours très inégale, plombée par une foule d’œuvres citationnelles aux références cousues de fil blanc. Il fallait dès lors distinguer le bon grain de l’ivraie. Ce qu’a fait le patron de Ladurée, Francis Holder, en emportant une œuvre rhizomique d’Alexandre Singh chez Harris Lieberman (New York) ainsi qu’une pièce de Cyprien Gaillard présentée par Bugada & Cargnel (Paris).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°328 du 25 juin 2010, avec le titre suivant : Insubmersible Art Basel

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