Art contemporain

ENTRETIEN CROISÉ

Hervé Courtaigne & Philippe Koutouzis : « Le retour de la croissance en Chine va doper la cote de T’ang Haywen »

Hervé Courtaigne, galeriste à Paris | Philippe Koutouzis, expert

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 17 mai 2024 - 1212 mots

Le spécialiste de la seconde école de Paris organise une exposition du peintre franco-chinois en collaboration avec l’expert Philippe Koutouzis.

Philippe Koutouzis lors de l’expertise de la peinture de T'ang Haywen achetée par le M+. © DR
Philippe Koutouzis lors de l’expertise de la peinture de T'ang Haywen achetée par le M+.
© DR

Nettement moins connu que ses compatriotes chinois Zao Wou-ki et Chu Teh-Chun, venus tout comme lui s’installer en France, T’ang Haywen (1927-1991) sort de son semi-anonymat grâce à une exposition présentée au Musée Guimet à partir d’œuvres de son atelier récupérées par l’État. Le galeriste Hervé Courtaigne expose parallèlement une sélection d’œuvres.

Hervé Courtaigne. © DR
Hervé Courtaigne.
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Quel est l’angle de l’exposition à la galerie ?

Hervé Courtaigne : C’est à la fois un panorama et une sélection. La galerie collectionne T’ang depuis douze ou treize ans et cela nous a permis d’avoir des œuvres qui couvrent toute sa période de création, depuis ses huiles sur toile qui sont assez rares ou ses notes de voyage des années 1950-1960 jusqu’aux dernières encres des années 1980. Nous ne pouvons pas tout présenter, on en a trop, nous montrons essentiellement des grandes œuvres.

Peut-on « périodiser » le travail de T’ang ?

Philippe Koutouzis : C’est toujours difficile de faire cet exercice, d’autant que chez T’ang le choix des supports introduit des variations dans le style. Dans les années 1950, il commence par des travaux plutôt figuratifs (natures mortes, paysages..) et des hommages aux peintres occidentaux. Au début des années 1960, il peint à l’encre et à l’huile des paysages en série sur des cartons dont il a récupéré un stock. Il peint aussi des huiles sur toile et une série de très petites huiles sur papier journal C’est à la fin de la décennie qu’il commence à juxtaposer deux feuilles, donnant naissance au format diptyque qui le caractérise fondamentalement. Cela l’amène à étendre ses représentations qui prennent une dimension plus symbolique et marquent la maturité de son œuvre. Dans les années 1980, il utilise le papier Arches qui absorbe différemment l’encre et confère à l’œuvre une dimension plus fluide et baignée de lumière.

Figuratif ou abstrait ?

H. C. : Ses œuvres sont toujours sur le fil entre figuration et non-figuration, dans un contexte d’après guerre où 90 % de la production picturale en France était abstraite. Moi je vois des paysages dans ses œuvres. On trouvera dans l’exposition plus de couleur que ce que laisse à penser sa production en général. C’est ce qui me touche le plus alors que, paradoxalement, j’ai commencé à m’intéresser aux encres de T’ang avant de découvrir son jardin secret constitué de petits formats figuratifs.

Ph. K. : T’ang était très détaché de la vie artistique et ne suivait pas vraiment les courants, contrairement à Zao Wou-ki dont on sait par exemple qu’il a vu les travaux de T’ang. Il partait pour plusieurs mois au Maroc, aux États-Unis, et ne faisait pas beaucoup d’efforts pour rencontrer ses collectionneurs. Il était insaisissable même pour sa galeriste parisienne Nane Stern.

H. C. : T’ang était plus ou moins en rupture avec sa famille restée au Vietnam, notamment en raison de son homosexualité. Il a vécu dans un certain isolement social. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ses dernières œuvres sont marquées par le sida qu’il a contracté.

Ph. K. : Et puis, contrairement à Zao Wou-ki ou à Chu Teh-Chun, T’ang venait d’un milieu modeste. Ce sont des Chinois du Sud, du Fujian, moins éduqués que ceux du Nord qui les appellent « les mangeurs de tout ce qui a quatre pattes sauf les tables », qui sont partis au Vietnam après le déclenchement de la guerre sino-japonaise (1937-1945).

Sa cote est-elle bien établie ?

H. C. : Elle a suivi des évolutions, en particulier liée à des achats nationalistes chinois qui ont fait grimper les prix jusque dans les années 2010, culminant avec un record à Hongkong à 300 000 euros pour une œuvre exceptionnelle. Puis il y a eu des « remous » autour de son œuvre qui ont déstabilisé le marché. Cette période est terminée. Aujourd’hui les prix dépendent évidemment des formats, époques…, mais disons qu’une grande encre vaut autour de 20 000 euros. Mais il y en a peu, et encore moins de grandes huiles sur toile dont une partie de sa production (une cinquantaine de peintures) a été brûlée à San Francisco dans les années 1960. Les petits formats ont été adjugés entre 2 000 et 5 000 euros pièce l’an dernier chez Artcurial.

Quels sont les acheteurs actuels de T’ang ?

H. C. : Il y a encore de nombreux acheteurs en Chine. Philippe connaît un Hongkongais qui possède 40 œuvres et continue à en acheter. Il y a aussi toute la diaspora chinoise dans le monde qui veut se réapproprier son patrimoine. Et puis il y a tous ceux qui s’intéressent à la deuxième école de Paris. Ce qui est sûr, c’est que le retour de la croissance chinoise va doper sa cote, laquelle ne peut que progresser compte tenu du niveau assez bas où elle est aujourd’hui.

Ph. K. : T’ang n’est pas connu et l’exposition du Musée Guimet va contribuer à faire connaître sa vie au fond très romanesque, ce qui ne peut qu’accroître l’intérêt pour l’homme et son œuvre.

Hervé Courtaigne évoquait des « remous », faisant allusion aux interrogations sur vos droits patrimoniaux sur l’œuvre de T’ang…

Ph. K. : La question a été définitivement réglée par un arrêt de la Cour de cassation en 2018, qui met fin à toutes les contestations sur mes droits sur l’œuvre. Depuis 1995, je fais connaître et protège l’œuvre de T’ang à la suite d’un accord avec son frère. Je suis le seul habilité à délivrer des certificats d’authenticité. Et d’une certaine façon je défends aussi le droit moral.

T’ang est mort en 1991 sans héritier et son atelier a été vendu par l’État en 1992. Mais une partie de son atelier a été volée par les « cols rouges » de Drouot et partiellement retrouvée après l’éclatement de l’affaire. A-t-on une idée de ce qui a été volé ?

Ph. K. : Pas vraiment, mais je suis persuadé que d’autres œuvres vont ressortir. Les Domaines en ont récupéré plusieurs centaines, mais ce sont pour beaucoup des petits formats et tout n’était pas de la main de T’ang. J’ai participé à la sélection qui a été donnée au Musée Guimet et à celle qui est mise en vente chez Artcurial.

Le marché a aussi été perturbé par des faux. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Ph. K. : J’ai le sentiment que l’atelier qui les fabriquait a arrêté d’en produire. Mais je continue à faire la chasse à tous les faux que je vois passer. Compte tenu de mon expertise et de ma collaboration avec l’État, un faux est retiré du marché dès que je le signale.

H. C. : Le marché s’est considérablement assaini depuis quatre-cinq ans. Il est devenu binaire : si une œuvre est inscrite au catalogue raisonné, c’est bon ; si elle ne l’est pas, cela ne vaut rien.

Ph. K. : Je travaille au catalogue raisonné depuis des années. Ce n’est pas simple car T’ang documentait très peu son travail et, comme dans la tradition de la calligraphie chinoise, il produisait énormément, notamment des petits formats sur papier. Pour l’instant, comme pour Zao ou Chu, je ne souhaite pas le mettre en ligne afin d’éviter de tenter les faussaires. En revanche je peux certifier que l’œuvre que l’on me présente est au catalogue ou le sera après mon expertise.

La peinture de T’ang Haywen,
jusqu’au 8 juin, Galerie Hervé Courtaigne, 53, rue de Seine, 75006 Paris. Et aussi : « T’ang Haywen », jusqu’au 17 juin, Musée Guimet, 6, place d’Iéna, 75116 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : Hervé Courtaigne, galeriste à Paris : Philippe Koutouzis, expert : « Le retour de la croissance en Chine va doper la cote de T’ang Haywen »

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