Gillet et Jammes à Londres

Sotheby’s dispersera les deux prestigieux ensembles

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 10 septembre 1999 - 838 mots

Drouot ayant refusé la demande déposée par l’étude Poulain Le Fur pour vendre dans les locaux parisiens de Sotheby’s les collections de livres de Renaud Gillet et de photographies de Marie-Thérèse et André Jammes, ces deux ensembles seront mis aux enchères à Londres, le 27 octobre, par l’auctioneer. Amis de quarante ans, réunis par leur passion commune pour la bibliophilie, Renaud Gillet et André Jammes ont décidé de disperser leur collection le même jour, en hommage à leur ami commun, le libraire Jean Hugues, décédé en 1997. Chacune de ces collections est estimée 2 à 3 millions de livres sterling (20-30 millions de francs).

PARIS - Renaud Gillet et André Jammes ont tous deux vécu depuis leur plus jeune âge dans l’univers des livres. Le premier a été initié par son père Charles Gillet, industriel lyonnais qui avait rassemblé une importante collection d’incunables, de reliures et d’éditions d’auteurs classiques français. Ce goût pour les livres s’est encore accru au contact de Jean Hugues qu’il a rencontré au début des années cinquante, au moment où celui-ci venait d’ouvrir une librairie à Paris, à l’angle de la rue Jacob et de la place Furstemberg. La collection Gillet, rassemblée dans les trente années qui ont suivi la Libération, est axée autour de quatre thèmes principaux : la littérature du XIXe, celle du XXe siècle, le Surréalisme et les livres de peintres présentés dans de belles reliures. “L’importance de cette collection tient au fait qu’elle est représentative de la culture des élites françaises des années soixante et soixante-dix”, souligne Jean-Baptiste de Proyart, directeur du département des Livres chez Sotheby’s, à Paris.

Breton, Eluard, Ernst et Char
“À René Char, le 24 mai 1930 à l’Isle sur la Sorgue devant un arbre dans lequel le soleil descend je sais peut-être moins que jamais ce que c’est que l’amour : tout ce que j’ai voulu savoir.” Cet envoi signé André Breton est reproduit sur un exemplaire de Nadja datant de 1928, dédié au poète français (60-80 000 livres sterling). Autre livre important dans l’histoire du Surréalisme, Au défaut du silence de Paul Eluard, exemplaire personnel de l’auteur, présente des textes autographes d’Eluard et de Gala, et cinq portraits de Gala par Max Ernst et Giorgio de Chirico (70-90 000 livres). Un manuscrit autographe de Marx Ernst, La Femme 100 têtes, illustré de trois collages originaux signés de l’auteur, témoigne de la créativité du Surréalisme (60-80 000 livres).

Parmi les plus beaux ouvrages du XIXe siècle, figurent dans la collection la seconde édition originale des Fleurs du Mal, présentant un envoi à Marie Daubrun qui fut la maîtresse du poète (30-50 000 livres), et les manuscrits autographes de 16 poèmes des Romances sans paroles de Paul Verlaine. Illustré de trois gouaches, cet ouvrage est un des derniers grands manuscrits de Verlaine en mains privées (200-300 000 livres).

Un exemplaire d’Alcools de 1913, de Guillaume Apollinaire, dans une reliure de Jacques-Antoine Legrain, agrémenté de dix aquarelles de Marcoussis, illustre la richesse de la collection de manuscrits du XXe siècle (20-40 000 livres). Une note autographe de Marcoussis raconte la genèse du titre choisi par Apollinaire et décrit l’ambiance du Montmartre du début du siècle.

Libraires chevronnés
André Jammes est lui aussi issu d’une famille de libraires spécialisés en bibliophilie, installée dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Sa collection de photographies, qui réunit des tirages du XIXe siècle et des chefs-d’œuvre de l’avant-garde des années vingt et trente, sera dispersée le même jour que celle de son ami Renaud Gillet. André et sa femme Marie-Thérèse ont commencé à collectionner à partir du milieu des années cinquante : tandis qu’André cherchait et réunissait des images, Marie-Thérèse se chargeait des recherches et archivait les tirages. “La collection Jammes est fascinante par ce qu’elle nous apprend sur l’histoire des collections de photographies, explique Philippe Garner, directeur du département de Photographie de Sotheby’s. Dans la première moitié du siècle, un nombre infime de collectionneurs avait compris l’intérêt des photographies et accumulé des images. Quelques libraires chevronnés avaient réuni des stocks de photographies rares, mais peu de leurs clients s’y intéressaient. De nombreux tirages et, surtout, des archives entières se trouvaient encore chez les descendants des photographes. Jammes a vu là l’occasion de constituer une collection de référence sur l’art de la photographie, sujet jusque-là négligé.”

La première des deux vacations, consacrée à la photographie du XIXe siècle, comporte un ensemble exceptionnel d’épreuves signées Hippolyte Bayard, Édouard Baldus, Gustave Le Gray, Charles Marville et Nadar. À noter, un album de 150 photographies de Baldus sur La construction du chemin de fer du Nord (100-150 000 livres sterling), un Autoportrait d’Hippolyte Bayard avec appareil sur pied (25-35 000 livres), et un tirage sur papier albuminé d’après négatif sur verre de Gustave Le Gray, Hêtre, Fontainebleau (40-60 000 livres). Parmi les photographies de l’avant-garde des années vingt et trente, sont proposés un album d’études de nus de 1909 par Clarence White et Alfred Stieglitz, qui comprend leur célèbre Torso (100-150 000 livres), et le Portrait d’un porteur de pierres de l’Allemand August Sander (20-30 000 livres).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°88 du 10 septembre 1999, avec le titre suivant : Gillet et Jammes à Londres

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