Procédure

Exploiter les œuvres d’auteurs introuvables

Les musées peuvent demander au juge du tribunal de grande instance l’autorisation d’exploiter les créations d’artistes disparus sans laisser d’ayants droit.

Les réserves des musées, les archives des institutions culturelles comportent souvent photographies, films, documents, œuvres dont les auteurs sont inconnus ou disparus sans laisser d’ayant droit. L’intérêt artistique ou documentaire de telles pièces incitent leurs gardiens à les exploiter. Courent-ils le risque d’une revendication tardive de leurs créateurs ou de leurs descendants, lesquels bénéficient d’une protection par le droit d’auteur soixante-dix ans à compter de la mort de l’auteur ?
Des dispositions méconnues du code de la propriété intellectuelle apportent une solution à ce problème. S’il n’y a pas d’ayant droit connu, en cas de vacance ou de déshérence, le tribunal de grande instance peut ordonner « toute mesure appropriée » en cas de non-usage du droit de divulgation (art. L. 121-3) ou des droits d’exploitation (art. L. 122-9). Cette rédaction laconique confère toute latitude au juge pour décider, au cas par cas ; en outre, le caractère gracieux et non contradictoire de cette procédure empêche que les décisions rendues sur ce fondement soient connues ou publiées. Ce qui laisse le plaideur démuni quant aux modalités concrètes de l’exercice de ce droit.
La procédure est simple et rapide : la demande devra être formulée au président du tribunal de grande instance sous la forme d’une requête et celui-ci rendra une ordonnance autorisant les actes sollicités et en précisant les conditions. La requête devra comporter les informations et les pièces nécessaires pour que le juge puisse prendre une décision éclairée.

Démontrer un intérêt à agir
Il conviendra, tout d’abord, d’inventorier les œuvres concernées. Ensuite, de démontrer l’absence d’ayant droit (notamment pour les œuvres anonymes), la vacance (il n’existe aucun successeur) ou la déshérence (les successeurs existent mais ne réclament pas la succession), ou, à tout le moins, que tous les efforts raisonnables ont été faits pour les retrouver. Pour le droit moral, il faudra essentiellement demander à exercer le droit de divulgation, c’est-à-dire la possibilité de communiquer pour la première fois une œuvre au public. Pour les droits d’exploitation, le requérant demandera à exercer les droits de reproduire (dans un catalogue, sur des affiches, des cartes postales…) et de représenter les œuvres (droit d’exposition afférent à une photographie, à un tableau, droit de projeter un film…). Dans l’hypothèse d’une exploitation générant des recettes telle que la vente de cartes postales ou d’affiches, il conviendra de préciser sous quelles conditions la part des auteurs doit être reversée si des ayants droit réapparaissent. En matière cinématographique, la SACD, société de gestion de droits des auteurs et compositeurs dramatiques, a souvent été désignée par le juge pour négocier les droits d’auteurs disparus et percevoir les recettes. En outre, le juge est particulièrement vigilant sur la limitation et le contrôle de l’étendue des cessions qu’il accorde, pour sauvegarder les intérêts des éventuels ayants droit. Sur certaines ordonnances, il a, en effet, rajouté des mentions restreignant l’étendue des droits cédés ou assurant un contrôle plus efficace de leur exploitation : limitation de la cession au territoire français, désignation de la SACD non seulement pour percevoir les recettes mais également comme séquestre, dans l’hypothèse où un ayant droit serait découvert. Il semble donc qu’une demande devra être formulée de manière précise et limitée, pour couvrir les besoins réels du demandeur, sans constituer un vaste blanc-seing.
Si le tribunal peut être saisi « notamment par le ministre chargé de la culture », n’importe quelle personne physique ou morale peut invoquer ces dispositions dès lors qu’elle démontre un intérêt à agir. Pour l’audiovisuel, des autorisations ont été accordées à des auteurs, des sociétés de perception de droit et des producteurs. La Cinémathèque française a ainsi obtenu le droit d’exploiter tout un catalogue de films des années 1930 après en avoir restauré les pellicules. Par analogie, dans les arts graphiques, toute personne démontrant un intérêt à agir devrait pouvoir bénéficier de telles mesures. Les sociétés de perception de droit (ADAGP, SAIF) (1), en vertu de leur mission de représentation des auteurs, et les musées, pour accomplir leur mission de conservation et d’exposition au public de leurs collections, ont indéniablement vocation à faire jouer ces dispositions.

(1) Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques, Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : Exploiter les œuvres d’auteurs introuvables

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