Musée

Et l’Afrique ?

Par Jacques Attali · Le Journal des Arts

Le 29 mai 2018 - 532 mots

Pendant trop longtemps, nous avons considéré l’Afrique comme un sujet et non un objet de l’art.

La Fondation Zinsou au Bénin.
La Fondation Zinsou au Bénin.

Très rares ont été, jusqu’à récemment, les sujets d’exposition d’œuvres africaines concentrés dans des musées d’origine coloniale ou d’arts dits premiers. Aucun artiste africain n’a été montré au Louvre jusqu’à ce qu’une œuvre de Chéri Samba y soit présentée, il y a trois ans, dans le contexte d’une exposition.

Tout change : on parle, à juste titre, de rendre une partie de leurs chefs-d’œuvre aux musées des pays d’Afrique subsaharienne. Des œuvres pillées du temps de la ­colonisation. Mais de quels musées parle-t-on ? Sont-ils bien entretenus ? Bien gardés ? Dans des bâtiments dignes des œuvres qu’ils devraient contenir ? Sans risque de vol ou de dégradation ?

Plus généralement, on peut s’interroger sur la présence de toutes les formes d’art dans ces pays : pourquoi y trouve-t-on si peu de salles de cinéma ? De salles de concerts ? De librairies ? De galeries d’art ? Très rares en particulier sont les fondations d’art contemporain, dont l’exemple admirable de la Fondation Zinsou au Bénin est trop rare. Pourquoi ce continent de plus d’un milliard d’habitants est-il ainsi privé, surtout dans sa partie subsaharienne, d’un accès à la culture dont dispose tout le reste du monde ?

Est-ce parce que son niveau de développement est plus bas que celui du reste du monde ? Sans doute pas : on ne trouve presque pas de salles de cinéma ou de librairie dans les grandes villes du continent, comme Dakar, Abidjan, Lagos ou tant d’autres, dont le niveau de vie est pourtant beaucoup plus élevé que celui des campagnes. Et il y a des musées, des cinémas, des salles de concerts, des galeries d’art, dans certaines des régions d’Asie ou d’Amérique latine tout aussi pauvres que celles de l’Afrique subsaharienne, même si une grande partie de ces pays manque encore cruellement d’équipements culturels.

Est-ce parce que le climat subsaharien ne s’y prêterait pas ? Alors comment expliquer la présence si majestueuse de l’architecture au Cambodge ou de la peinture au Mexique ? Est-ce parce que l’islam, religion iconoclaste, y serait très présent ? Il y a pourtant des musées, des salles de cinéma et de concert au Maghreb, dans les pays du golfe, au Pakistan, en Indonésie. Et les régions où domine le christianisme en Afrique ne sont pas mieux pourvues que les autres. Est-ce parce que l’art, tel qu’on le définit, serait trop occidental pour trouver sa place dans l’univers africain ? Cela est sans doute le cas pour la littérature, puisque l’Afrique a été très longtemps privée d’écriture et n’a pas jugé utile de nommer les auteurs de ses chefs-d’œuvre. Mais par pour les autres domaines : l’art occidental, de la danse à la peinture, de la musique à la danse, ne serait rien sans l’art africain.

À moins que l’Afrique ne soit plus occupée à vivre qu’à commémorer, à faire qu’à conserver ou même à prendre soin de ses affaires. Plus préoccupée du flux que du stock, du présent que du passé ou de l’avenir. Tel est sans doute le cœur de la fonction de l’art : laisser une trace. Encore faut-il le vouloir.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°502 du 25 mai 2018, avec le titre suivant : Et l’Afrique ?

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