Emmanuel Perrotin : « J’ai souvent été en sens inverse de ce que le marché nous dicte »

Le galeriste, ouvre un espace plus grand prochainement à New York

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 30 août 2016 - 809 mots

Après avoir ouvert son premier espace à Paris à l’âge de 21 ans en 1989, Emmanuel Perrotin est aujourd’hui, à 48 ans, à la tête de quatre galeries dans le monde, à Paris, Séoul, Hongkong et New York. Dans cette dernière métropole, il changera d’adresse dans les mois qui viennent, passant de Madison Avenue à une plus grande surface située dans le Lower East Side, au 130 Orchard Street.

Emmanuel Perrotin
Emmanuel Perrotin

Comment voyez-vous cette rentrée ?
Je n’ai même pas eu le temps de me poser la question. Je vais d’abord à Hongkong pour notre exposition de l’artiste chinois Yuxing Huang, ensuite nous inaugurons « Takashi Murakami » à Paris, « Daniel Arsham » à New York et « Gregor Hildebrandt » à Séoul. C’est donc une rentrée chargée ! De toute façon, je n’essaie pas de calculer, de prévoir, car si l’on commence à trop réfléchir et à faire des choix stratégiques, il y a de grandes chances pour que cela ne marche pas. Tout le monde s’inquiétait pour Art Basel. Au final, j’ai mieux travaillé que je ne le pensais et mieux que l’année dernière. J’ai souvent été en sens inverse de ce que le marché nous dicte. Depuis trois ans, l’ouverture de notre galerie à New York nous a par exemple permis d’engager une nouvelle manière de travailler, avec des artistes beaucoup plus âgés, tels Pierre Soulages, Park Seo-Bo, Erró, Heinz Mack, ou avec des estates [successions], de Germaine Richier, Jesús Rafael Soto, Chung Chang-sup. Avoir des discussions avec des artistes âgés de plus de 85 ans ou avec les familles d’artistes décédés m’oblige à me confronter à de nouvelles problématiques, à des choix différents, ce n’est pas du tout la même démarche intellectuelle que de travailler avec les plus jeunes – qui restent l’ADN de la galerie.

Pourquoi avez-vous fait ce choix d’ouvrir à New York, Hongkong et Séoul plutôt qu’à Londres ou Bruxelles comme certains de vos confrères ?
Sur le plan de la vie privée, il est plus facile de prendre un TGV, de passer quelques jours sans décalage horaire, d’être dans un pays culturellement plus proche de nous et de bénéficier d’un contexte fiscal complémentaire de celui de Paris. Cela permet, certes, d’expliquer aux artistes que l’on va pouvoir leur organiser deux expositions plutôt qu’une tous les trois ans à Paris, mais il ne faut pas oublier que les collectionneurs belges ou anglais viennent et achètent aussi à Paris. En allant en Asie, j’ai voulu ouvrir le plus de portes possible. Les assistants que j’ai engagés sur place m’ont donné accès à des territoires que je n’aurais jamais pu pénétrer en participant simplement aux foires. En outre, mes développements internationaux ont permis d’élargir la programmation de toutes nos galeries : Hongkong a nourri celles de Paris et de New York, et vice versa. Chacune amène des projets, il existe ainsi une complémentarité et une interactivité stimulantes.

Il se dit souvent que, hors des foires, point de salut aujourd’hui…
Je ne suis pas d’accord. Sur le plan commercial, beaucoup de ventes ont lieu à distance, hors des foires et de la galerie, lors de déjeuners, de voyages. Évidemment il ne faut pas minimiser la place de ces manifestations qui ont un rôle de déclencheur, mais elles ne sont pas exclusives. Il y aurait comme une fatalité à penser que le modèle de la galerie est mal en point. Certes ce n’est pas facile, mais c’est à nous galeristes de nous réinventer, de trouver des projets qui donnent envie aux gens de venir voir nos expositions. Depuis que j’ai ouvert ma première galerie il y a vingt-sept ans, j’ai toujours été très attentif au rapport au public, qui m’intéresse beaucoup, au-delà des ventes, parce que l’artiste est porteur d’une voix. J’ai voulu très tôt que la galerie soit populaire, non pas pour vendre des cartes postales, mais parce que l’artiste, quel que soit son propos, écologique, sociologique ou esthétique, a envie de le partager et de connaître le ressenti du public. Il ne désire pas seulement être vu par 500 spécialistes.

Que pensez-vous de la faible présence des artistes français sur la scène internationale ?
Cela s’améliore, mais il est dommage qu’il y ait eu autant d’articles sur ce sujet dans un passé encore récent et que si peu de commentaires aujourd’hui parlent de la nouvelle réussite, effective, de nos artistes. Dans notre équipe, Jean-Michel Othoniel, Bernard Frize, Laurent Grasso ou Tatiana Trouvé par exemple sont très actifs. Il faut se méfier des enquêtes à ce sujet, car sur le plan des ventes elles ne tiennent compte souvent que des résultats aux enchères et savent très peu ce qui se passe réellement dans les galeries. Il nous faut d’autre part travailler plus en concertation encore avec les institutions françaises ; si celles-ci programmaient plus longtemps à l’avance les expositions, elles pourraient les faire tourner dans d’autres institutions. Quand les musées étrangers vendent leurs expositions aux musées français, on sent qu’ils sont habités par une mission.

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Emmanuel Perrotin. © Photo : Karl Lagerfeld

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°462 du 2 septembre 2016, avec le titre suivant : Emmanuel Perrotin : « J’ai souvent été en sens inverse de ce que le marché nous dicte »

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